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contrecarrer une politique douanière qui permettrait l’entrée de l’Empire aux produits agricoles et au bétail serbe ; or les agrariens représentent la grande propriété foncière, c’est-à-dire la force sociale la mieux organisée de la double monarchie. Les Hongrois, de leur côté, regardent la Croatie comme une dépendance de la couronne de Saint-Étienne et la Bosnie comme une annexe de la Croatie ; la seule idée de trialisme soulève des tempêtes au-delà de la Leytha. Malgré tant d’obstacles, cette politique pourrait devenir, pour l’Autriche, celle de l’avenir, mais c’est à la condition qu’elle ne suivra pas jusqu’au bout les conseils de la Deutsche Revue et qu’elle ne verra pas, dans l’annexion de la Bosnie, le prélude d’une expansion dans la péninsule des Balkans. L’Autriche-Hongrie est une puissance danubienne, non balkanique. Le baron d’Æhrenthal, en renonçant aux droits de l’Autriche sur le sandjak de Novi-Bazar, a fait un acte de sagesse et a posé lui-même les bornes au-delà desquelles l’expansion autrichienne vers le Sud deviendrait le plus dangereux des leurres. Le geste du vainqueur de Sadowa l’y pousse ; est-ce une raison pour qu’elle s’y laisse entraîner ? Une politique d’émancipation slave poussée jusque dans les Balkans ne peut manquer d’amener une mésintelligence radicale et probablement un conflit entre l’Autriche-Hongrie et la Russie pour le plus grand profit de la Prusse. La leçon des derniers événemens est, à ce point de vue, assez éloquente pour ne pouvoir être méconnue. En face d’une Russie hostile, le Cabinet de Vienne sera toujours obligé de faire appel au concours de Berlin. Il en sera ainsi, mécaniquement, chaque fois que l’Autriche s’engagera trop avant dans la politique balkanique. Nous l’avons écrit ici, le 15 décembre, et nous n’avons rien à retrancher de ce que nous avons dit, au contraire : expansion au Sud, pour l’Autriche, égale péril au Nord.

L’article de la Deutsche Revue proteste, non sans raisons, contre l’opinion, propagée par certains journaux étrangers, qui assimile l’expansion autrichienne à une expansion allemande et attribue à l’alliance austro-allemande un but pangermaniste. Il faut en effet se garder de confondre le groupe bruyant mais peu nombreux des pangermanistes avec la masse patriote et nationaliste des Allemands d’Autriche ; il faut aussi tenir compte des autres races. Il est certain que l’Autriche, aujourd’hui plus que jamais, veut être elle-même et avoir sa politique indépendante ; elle l’a prouvé en s’engageant dans l’affaire de Bosnie, son