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les ont précédées[1] : mais, en fait, l’inspiration dont elles dérivent justifie et compense amplement cette infériorité. Ce n’est plus maintenant, comme naguère, un artiste consciencieux et habile qui se montre à nous, mais un être de chair et de sang pareil à nous tous, un homme s’efforçant à épancher de son mieux, dans l’unique langage dont il dispose, la « funèbre » désolation qui l’emplit tout entier.

Une autre des symphonies, en fa mineur, porte le nom de la Passione, — au sens tout profane de ce mot italien. Celle-là est, d’un bout à l’autre, dans le même ton mineur (sauf quelques mesures du second menuet), et ne traduit d’un bout à l’autre qu’un même sentiment, plus contenu et plus recueilli que celui de la Symphonie Funèbre, avec une ombre, non moins poignante, de profonde tristesse à jamais sans espoir. L’œuvre commence par un long adagio d’un rythme grave et lourd qui, tout à l’heure, va s’animer dans le second morceau, allegro assai, revêtant une allure de plus en plus heurtée, pour aboutir enfin à une suite précipitée de sanglots dont Beethoven, un jour, se souviendra dans le plus « romantique » de ses quatuors. Puis, de nouveau, la fièvre se calme dans le menuet, mais sans que la consolation reparaisse au cœur ulcéré du musicien ; et il n’y a pas jusqu’au final, malheureusement trop rapide, qui ne s’achève sur la même expression de sombre désespoir.

A l’année 1772 appartient également une autre symphonie, — en fa dièse mineur, — que tous les biographes et critiques ont l’habitude de citer, mais pour nous l’offrir comme un exemple de la naïve et puérile jovialité du souriant « Papa Haydn. » C’est, en effet, dans le finale de cette symphonie des Adieux que tous les instrumentistes, tour à tour, cessent de jouer et s’en vont, jusqu’à ce qu’enfin les deux violons restent seuls en scène. Tout le monde s’accorde à affirmer que Haydn a eu une intention comique, en terminant ainsi ce morceau ; mais personne ne sait au juste ce que l’intention a pu être, et chacune des histoires inventées à son sujet en trouve une ou deux autres, aussitôt, pour la démentir. Toujours est-il que, grâce à ces légendes, la symphonie des Adieux a un peu plus tardé que les autres à disparaître de l’horizon musical. On l’a jouée encore à Leipzig, durant l’hiver de 1837 ; et le jeune Schumann, qui assistait à cette exécution, nous apprend que, « cette fois comme toujours, les musiciens ont éteint leurs chandelles, l’un après l’autre, et se sont levés de leurs sièges. »

  1. Le contrepoint même, qui y tient une place considérable, est manifestement simplifié et condensé à dessein, pour devenir désormais un élément d’expression dramatique.