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ont fait un grief. Peu importe que l’événement lui ait donné raison ; on n’en a été que plus sévère pour lui ; on l’a accusé d’avoir par avance affaibli le mouvement par le discrédit dont il l’avait frappé. Bref, il a été renversé par un vote, comme un simple ministre, et le parti révolutionnaire pur est resté maître de la situation. En vain M. Jaurès a-t-il jeté le cri d’alarme, en déclarant que la division serait un crime contre le prolétariat ; sa voix s’est perdue dans le désert, et la Confédération générale est apparue profondément divisée. On cherchera sans doute à couvrir tout cela avec le manteau dont le plus pieux des fils de Noé couvrit autrefois la défaillance de son père ; mais il sera trop tard, nous n’oublierons pas ce que nous avons vu, et le prestige de la Confédération générale en restera, au moins pour quelque temps, diminué aux yeux du monde bourgeois.

Il en est un peu de même du parti radical et radical socialiste, qui est le pivot de la majorité à la Chambre des députés. C’est sur lui que s’appuie le gouvernement : le jour où il abandonnerait M. Clemenceau, M. Clemenceau tomberait. Si on se liait aux conversations de couloirs, ce jour serait arrivé tous les matins, car la plupart des membres du parti ont les plus mauvais sentimens pour M. le président du Conseil : mais ils en ont peur et ils croient avoir besoin de lui. Cependant des faits nouveaux se sont produits, qui pourraient bien modifier l’attitude de la majorité envers le ministère. Un certain nombre d’élections récentes, qui ont donné aux socialistes l’avantage sur les radicaux, ont jeté parmi ceux-ci la panique et le désarroi, et les adversaires du gouvernement, reprenant confiance et audace, l’accusent de mener le parti à la déroute. Que le parti aille en effet à la déroute, c’est possible et même vraisemblable. Tous les partis s’usent à la longue, et le parti radical, qui est au pouvoir depuis plus de dix ans, devait s’user plus vite que les autres, parce qu’il a fait plus de promesses et qu’il en a moins tenu. Il en a fait plus à cause de son ignorance, et il en a tenu moins à cause de sa médiocrité. Aussi, à mesure que les élections approchent, éprouve-t-il comme des frémissemens en sens divers. M. Clemenceau a certainement la houlette dure : mais est-il, ou non, un bon berger ? On se le demande avec inquiétude et les voix qui le condamnent s’élèvent de plus en plus haut.

Cette émotion des esprits, cette incertitude, ces craintes devaient avoir un contre-coup sur le Comité exécutif du parti radical et radical socialiste, autre espèce de Conseil des Dix. Là encore la discorde a pénétré. A dire vrai, l’union n’y a jamais été bien grande, mais le public ne s’en doutait pas et le Comité avait l’air de quelque chose