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volonté parfaite à l’égard des auteurs et des œuvres[1], le goût du théâtre, une entente remarquable des choses de la scène, de la conscience, de la probité, un fond de goût classique et de bon sens qui ne le quitte jamais, une franchise robuste et allègre qui va jusqu’au bout de son impression personnelle, et n’a point peur de braver, quand il le faut, les préjugés à la mode[2]. Ajoutez à cela une grande habileté à démonter les pièces, à les analyser et à les reconstruire avec une parfaite clarté, à mettre le doigt sur les points faibles : les « scènes à faire » — ou à refaire — sont indiquées avec un sens très sûr ; quelquefois même, le critique complète, en la corrigeant, et repense et recrée la pensée de l’auteur, et il esquisse à grands traits, — voyez à cet égard son feuilleton sur la Jeanne d’Arc de M. Jules Barbier[3], — le scénario d’un très beau drame à écrire. Et enfin, quand le sujet y prête, les réflexions justes, fines ou profondes de moraliste et de psychologue, les pages piquantes d’histoire littéraire abondent sous sa plume : on sent là un écrivain qui domine de haut son métier et sa matière, et qui n’a qu’à le vouloir pour être au moins l’égal, et quelquefois le maître, des meilleurs d’entre les auteurs sur lesquels il exerce son libre jugement. On peut regretter, en lisant les feuilletons de M. Émile Faguet, l’élégance innée, la finesse nonchalante, la grâce souveraine, le style exquis de M. Jules Lemaître ; mais peut-être, au point de vue proprement dramatique, manifestent-ils une plus grande sûreté critique, une science technique plus avertie. Et, en tout cas, ils me paraissent devoir être préférés à ceux de Sarcey qui, lui, a été vraiment trop indifférent à l’insignifiance littéraire, trop fermé aux nouveautés, trop asservi au goût routinier du public. Ce sont là des reproches qu’on n’adressera point à M. Faguet. Indépendant à l’égard de la critique comme du public[4],

  1. « Nous étions tous là (aux Filles de marbre), avec religion, moi éperdu de bonne volonté comme toujours, et, particulièrement, ce soir-là. » (Notes sur le théâtre contemporain, t. II, p. 81).
  2. « J’ai naguère déclaré que la Puissance des ténèbres était inepte. Quand on a une pareille intrépidité, on peut être traité d’imbécile, et je l’ai été copieusement ; mais on ne peut être soupçonné de complaisance à l’égard de la littérature des pays froids, ni d’affectation exotique. » (Ibid., t. III, p. 204.)
  3. Notes sur le théâtre contemporain, t. III, p. 5.
  4. « La pièce, du reste (Une famille, de M. Lavedan), a réussi, a été chaudement applaudie, et c’est surtout, — comme toujours d’ailleurs, — mon impression personnelle qu’il faut voir dans ce qui précède, plutôt qu’une traduction des sentimens du public, lequel s’est montré beaucoup plus favorable à la pièce que je ne le suis.(Ibid., t. III, p. 203.)