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ment rassuré sur l’exactitude de ses constructions, sentir les textes souvent plus près de nous ; des citations plus nombreuses seraient parfois les bienvenues. On souhaiterait aussi une connaissance plus large et plus approfondie de la « littérature » des sujets qu’il traite : M. Faguet oublie quelquefois, ou néglige, selon la belle formule de Taine, d’ « ajouter à son esprit tout ce qu’on peut puiser dans les autres esprits. » Et il est possible qu’une information plus minutieuse l’eût conduit, dans certains cas, à des résultats un peu différens de ceux auxquels il aboutit. Il est vrai que si M. Faguet s’était encombré de tous les scrupules que l’érudition contemporaine inflige à ceux qui en ont le culte ou l’obsession, il eût moins écrit, traité moins de sujets, répandu moins d’idées. Or, c’est une question de savoir si cela eût au fond mieux valu. Je suis de ceux qui hésiteraient fort à la trancher par l’affirmative . L’essentiel, après tout, en critique comme ailleurs, c’est peut-être encore d’être intelligent.

Il y a un dernier reproche qu’on serait en droit d’adresser à M. Émile Faguet. Sa critique, comme d’ailleurs celle de Taine, est trop statique : elle immobilise, elle cristallise, si je puis ainsi dire, l’objet de son étude ; elle embrasse l’ensemble d’une pensée et d’une œuvre, et non pas la succession des époques d’une pensée et d’une œuvre ; elle tend à appliquer à des esprits très différens des cadres un peu extérieurs et toujours les mêmes ; bref, elle ne suit pas d’assez près le mouvement même de la vie, l’évolution d’une pensée et d’une âme. Et cela ne laisse pas de lui donner parfois, aux yeux d’esprits prévenus, quelque chose d’un peu abstrait et artificiel.

Mais tout ceci revient à dire que la méthode de M. Faguet, comme toutes les méthodes du monde, encore une fois, a ses inconvéniens. Seulement, il faut s’empresser d’ajouter que les inconvéniens seraient plus graves, si la méthode était maniée par des mains plus gauches, par des esprits moins consciencieux et moins vigoureux que M. Faguet. Dans son cas, ils sont aussi réduits que possible. Il a suivi sa pente, et il a bien fait de la suivre. Et il nous a donné sur tous les grands écrivains français des études plus psychologiques et morales peut-être que proprement littéraires, mais qui, le plus souvent, sont d’une justesse, d’une profondeur, d’une lucidité difficiles à surpasser.

Ces travaux d’ailleurs ne nous renseignent pas seulement sur les écrivains qu’ils ont pour objet d’étudier ; ils nous renseignent