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généraux, languissans faute d’effectifs et de moyens, demeurent au-dessous de leur lâche ; les officiers vieillis encombrent les postes actifs, en attendant une retraite qu’on ne sait point hâter par des compensations ; ce qui dépasse la vie au jour le jour fait hésiter les ministères et les Chambres. La marine se sent à l’étroit dans son budget. Et c’est alors qu’il faudrait pouvoir chiffrer la surcharge imposée à ce budget par le seul protectionnisme, les sommes que son abandon rendrait à tant d’emplois urgens. M. Caillaux les estimait dernièrement à 30 pour 100 du total. Si pour un programme naval on demande un milliard, trois cents millions vont non pas à la défense militaire, mais, par l’effet du protectionnisme, à la défense industrielle. Dans un bilan de la marine, c’est un élément, on le voit, à ne pas oublier.

La politique extérieure. — Il faut à un pays la flotte de sa politique. La marine subit donc les fluctuations de nos visées diplomatiques. On lui donne le but à atteindre : elle y proportionne ses moyens, s’outille pour un travail déterminé. Si le but est clair, net, constant, l’organisation navale est facile. C’est ce qui arrive à nos voisins. Tout Anglais conçoit nettement le rôle de la flotte britannique : rôle triple comme le besoin 1° de défendre le sol métropolitain et ses extensions coloniales, en maintenant leurs communications ; 2° de couvrir cette part indispensable de la vie britannique constituée par la marine marchande ; 3° d’exercer sur les puissances étrangères la seule pression matérielle loisible à des insulaires. Un dogme stratégique en découle : celui de l’offensive à grand rayon, étendue jusqu’au rivage ennemi. Tout dans cet ensemble se lie et se soutient. La marine peut prendre ses précautions à longue échéance. En Allemagne, problème simple aussi : sans traditions maritimes ni coloniales, l’Allemagne tourne sur l’Europe le regard d’un peuple d’attaque. Sa marine est créée pour l’attaque, et contre le seul adversaire sur qui l’armée de terre n’ait pas prise.

A la France, au contraire, la multiplicité de ses horizons sur les mers et l’étendue de ses colonies proposent des objectifs divers, alors que la marine n’est pas pour nous, comme pour les Anglais, une condition d’existence dont la plus évidente des nécessités détermine le jeu. Aussi notre histoire est-elle changeante comme notre position géographique est ambiguë. De là des ambitions successives, qui, se détruisant l’une l’autre, nous ont jetés sur tous les rivages. La France semble parfois ne pas