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occupations quotidiennes si nombreuses et si absorbantes ! Nous pouvons en juger par les « manuscrits » vus et revus, annotés, surchargés, bâtonnés, amendés, commentés, interprétés, apostilles par lui. Le Magistrat veille à ce que la personnalité du premier ministre, le cardinal de Fleury, soit toujours respectée. Des traits comme le suivant font voir à quels détails il descendait : un feuilliste, voulant peindre l’impression désagréable ressentie par le premier ministre à la lecture d’une dépêche peu satisfaisante, avait écrit : « Monsieur le cardinal avait le visage extrêmement allongé... ; » Marville corrige : « Le ministre avait l’air fort occupé. »

Au reste on comprend qu’il ait bâtonné ce qui concernait les querelles et les scandales de la Cour, les véridiques, mais trop lestes histoires où figuraient Mme de Mailly, de Vintimille, de Nesle, de Châteauroux, de Mazarin et autres « belles et honnestes dames. » Marville ne veut pas que l’on touche aux gens en place ; il barre les passages qui portent atteinte à la considération du contrôleur général Orry, du cardinal de Tencin, du maréchal de Belle-Isle ; il ne veut pas de fausses nouvelles et, tout en les effaçant, il les remplace souvent, — afin que le nouvelliste n’en ait pas moins sa feuille remplie, — par des informations à lui, dont il est sûr. Une notice nécrologique, prématurément consacrée au décès de l’évêque de Laon, est rayée avec cette remarque : « Je voudrais que cela fût vrai. » Quant aux faits divers déjà très recherchés, vols, assassinats, attaques nocturnes, arrêts de diligences, descentes de justice, échos du Palais, flagrans délits, feux de cheminée et chiens écrasés, Marville laisse tout passer, pourvu que l’information soit exacte. Presque à chaque page, on retrouve des notes de sa main :

« Vérifier l’article. — Est-ce bien vrai ? »

Tempérament de journaliste et, aussi, d’excellent homme, désireux, malgré les occupations dont il est accablé, d’aider à sa manière ces pauvres diables de nouvellistes dans leur rôle si difficile à tenir.

Les publicistes, qui avaient obtenu d’exercer leur industrie sous la tutelle de la police, étaient appelés les « nouvellistes autorisés, » et, plus précisément, les « nouvellistes privilégiés ; » ceux de leurs confrères qui, impatiens de tout contrôle, s’en affranchissaient, à leurs risques et périls, étaient nommés les « nouvellistes de contrebande » ou, comme on disait dans les