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les journaux se contredisent, et les gens que je vois ici recueillent les histoires les plus folles avec une gravité merveilleuse,

À propos du sélamlik de ce matin qui s’est passé comme tous les sélamliks, sans incidens, un monsieur bien informé affirme que le Sultan exhibé aux soldats et aux diplomates était un faux Sultan, un sosie d’Abdul-Hamid, vêtu, teint et fardé comme le Padischah authentique… Abdul-Hamid est loin d’Yldiz… Il navigue vers Corfou !

La déclaration qu’Ahmed-Riza a faite à des journalistes est très commentée. Le président de la Chambre aurait affirmé que la révolte du 13 avril a été fomentée par des réactionnaires, que le Sultan est resté neutre et sera respecté jusqu’à preuve contraire.

Et l’on commente aussi les déclarations de Chevket Pacha au grand vizir :

« Si la garde impériale, a dit le général, rentre dans la discipline, il ne sera pris contre elle aucune mesure de coercition. Dans le cas contraire, les auteurs seront punis… J’ai démenti catégoriquement le bruit qui a couru du détrônement de Sa Majesté impériale. Cependant, si des instigateurs voulaient se livrer à des intrigues pendant que mes troupes procéderaient à l’accomplissement de leur devoir, la responsabilité retomberait sur ceux qui en seraient cause… »

Tout cela est bien embrouillé, bien étrange, et les sceptiques commencent à parler d’une combinazione à l’orientale, entre les deux partis. Le Sultan sacrifierait ses complices, sa fortune et garderait une ombre de trône.

Moïse qui se faufile partout, qui pêche des renseignemens à tous les coins de rue, peut connaître le sentiment populaire. Or, je l’ai vu, hier, pendant notre promenade à Stamboul, déçu et navré. Il avait des colloques avec des marchands de noisettes, des limonadiers, et même des hodjas, — des bons ! — et le résultat de ces colloques le rendait mélancolique :

« S’ils le gardent, tout sera à recommencer. »

Dans le turbé de Sultan-Suleïman, mon guide a eu une longue conversation avec le gardien, un nègre bossu, en cafetan vert, qui ne semblait pas très au courant des choses politiques… Il vit avec les califes morts, ce nègre, et toutes ses pensées sont enfermées dans l’enceinte de marbre et de porphyre, sous la coupole rouge et blanche d’où pendent des œufs d’autruche et des