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les adversaires de mon père et les miens se retrouvèrent pour me reprocher mon initiative, et la tempête déchaînée ne s’arrêta pas, même devant une mémoire universellement respectée. Mon père, avec dignité, consacra toute sa vie au service de son pays. Patriote allemand dans la plus forte acception du terme, monarchiste dans l’âme, il eût été incapable d’écrire une ligne dont la publication, même posthume, pût nuire à sa patrie ou à son souverain. Est-ce donc nuire à son pays que de ne rien retrancher, en les publiant, des faits qui ont contribué à faire sa grandeur ? Est-ce lui faire injure que d’en révéler les étapes glorieuses ? N’appartient-il pas au contraire aux hommes qui ont été mêlés de près à ces grands événemens, d’apporter à l’histoire leurs souvenirs, rayons de lumière qui font jaillir sur le passé un jugement plus juste ? Une grande nation doit savoir supporter la vérité et ne pas la sacrifier à la légende. »

Le prince Alexandre explique l’émotion causée en Allemagne, plus intense qu’elle n’eût été partout ailleurs, par ce fait que les gouvernemens dans ce pays sont plus éloignés de ceux qu’ils gouvernent. Le public allemand avait eu l’occasion inattendue, grâce à un témoin véridique, « de jeter un coup d’œil derrière les coulisses de son histoire dont il n’était accoutumé à contempler les acteurs qu’enveloppés d’une auréole prestigieuse, » Toutefois le prince tenait à défendre son père contre toute intention perfide. « Il était diplomate, dit-il ; mais il avait aussi l’âme d’un philosophe, envisageant les hommes et la nature en méditatif doublé d’un sceptique. Il a cheminé dans les avenues de la haute politique, guidé à la fois par son cœur d’Allemand et ses opinions libérales. Dans ses notes il dit les choses simplement, comme il les a vues, en témoin. » Le prince Alexandre croyait, par la publication de ces Mémoires, avoir fait œuvre salutaire autant que légitime et ne doutait pas qu’en Allemagne l’historien futur ne rendît grâce à l’ancien chancelier de l’Empire d’avoir pensé, au déclin de sa vie, à laisser le souvenir des luttes prodigieuses qui avaient contribué à rendre son pays grand, fort et uni. Il estimait sans forfanterie que ses Mémoires constituaient une des œuvres d’histoire diplomatique les plus considérables de ce temps.

Dans un entretien avec un homme politique ami de son père, le prince Alexandre avait ajouté : « On m’a reproché de n’avoir pas assez attendu. Cependant, que devais-je faire ? Mon