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n’était pas celle des journaux. Le grand public avait, pensait-il, trop de bon sens pour ne pas reconnaître que la publication méritait d’être appréciée avec plus d’impartialité et de justice.

Venant ensuite à la partie politique extérieure des Mémoires qui aurait, dit-on, compromis le prestige de l’Allemagne et diminué son autorité morale pour avoir porté un coup maladroit au culte de Bismarck, il déclarait que ces accusations étaient plus puériles que sérieuses. « Est-ce en montrant l’attachement de l’Empereur à ses alliés d’Autriche que mon père a commis une imprudence ? Je ne le pense pas. Je constate d’ailleurs qu’il ne s’est manifesté à Saint-Pétersbourg aucune émotion. « Le prince faisait ainsi allusion à la conversation qu’il eut, le 13 octobre 1906, à Hombourg avec le prince de Bülow, et au cours de laquelle il lui avait confié son intention de prier M. de Lucanus de remettre à l’Empereur sa démission de préfet. Il affirma que le chancelier ne lui avait fait à ce sujet aucun reproche et n’avait paru nullement préoccupé. « Quant à Bismarck, disait-il, j’ai la conviction que mon père n’a obéi à aucun parti pris d’hostilité contre lui. Les notes que je publie aujourd’hui ne sont pas tendancieuses ; elles sont vraies comme des photographies. Aussi bien, mon père était avec Bismarck en relations excellentes et lui rendait pleine justice. Toutefois, quand il croyait que Bismarck se trompait, il le lui disait : par exemple, dans l’affaire des passeports pour l’Alsace-Lorraine où il ne finit par céder que par crainte d’être remplacé par un statthalter à poigne qui eût aggravé le mal, au lieu de l’atténuer. Et pourquoi se serait-il abstenu de dire ce qu’il pensait ? Je sais bien qu’aujourd’hui on a déifié Bismarck, tandis que, pour ses contemporains, c’était un homme de génie sans doute, mais un homme enfin, susceptible d’errer. Je sais bien que, pour les dévots de l’église bismarckienne, ce n’est pas à l’histoire qu’appartient Bismarck, mais à la religion. On ne peut ni le discuter, ni même le raconter. C’est excessif ! » Puis, s’étonnant du bruit que soulevaient les Mémoires de son père, le prince Alexandre ajoutait qu’ils se recommandaient avant tout par des détails précis, pittoresques et vrais. Comment alors expliquer cet orage ? « Ne peut-on plus, disait-il mélancoliquement, dans cette Allemagne si grande par la pensée, enregistrer librement des témoignages authentiques, et faut-il sacrifier la vérité durable à la légende ? Voilà toute la question.