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caractère d’intimité, « qui sent la famille. » L’individu « est beaucoup plus lui-même que citoyen d’un Etat… L’idée de l’Etat joue chez nous un rôle beaucoup moins imposant que chez nos voisins du Sud, et, par compensation, le sentiment de la liberté individuelle est bien plus vif en nous… Nous regardons encore le roi comme le père du pays[1]. » Pierre le Grand se vantait, dit-on, auprès de Frédéric IV : « Je puis ordonner à n’importe lequel de mes gens de se jeter du haut de cette tour, et il le fera. — Et moi, lui répondit le roi Frédéric, je puis me mettre à dormir la tête sur l’épaule du premier venu de mes sujets ! » Du haut en bas de l’échelle sociale, chez l’« alerte » Fionien, chez le « joyeux » Sélandais comme chez le Jutlandais « lourd et sérieux, » on retrouve, avec une façon sereine et facile d’envisager la vie, cette bonhomie et cette bonne humeur qui égaient et allègent la tâche quotidienne. Ecoutez causer deux ouvriers de village, occupés à blanchir une église : « Crois-tu que Dieu ait créé le monde en six jours ? — Oui ; mais aussi le monde est fait en conséquence ! » Dans les tranchées de Dybbel, sous le feu des Prussiens, les soldats du roi Christian IX ne se refusaient pas à des facéties analogues. Laborieux et persévérant, très attaché au sol natal, à son environnement familier, aimant l’intimité, la vie patriarcale, le paysan danois a quelque chose d’heureux dans sa modération calme, et ce n’est pas, paraît-il, sous des couleurs exagérées que le romancier II. Pontoppidan a peint cette jolie petite scène de la vie rurale : « Par un calme soir d’été, alors que le soleil s’efface et jette comme un glacis doré sur chaque petite mare d’eau, que les filles aux joues potelées suivent en chantant les sentiers des prairies, leurs fortes épaules chargées du joug d’où pendent les jarres à lait, que les garçons aux cheveux roux sortent des villages en se dandinant sur de lourds chevaux et laissent leurs sabots pendiller à plaisir au bout du gros orteil, que les marais commencent à bouillonner et les prés à tendre leur voile, c’est alors qu’on peut se croire transporté vraiment au pays de Cocagne où tout respire la paix et un bonheur sans fin[2]. »

Mesuré en tout, le Danois apporte dans la vie un extrême bon sens, mais aussi un peu d’étroitesse, de froideur, de terre à terre. Dans l’ordre intellectuel, c’est par la clarté et la sûreté

  1. Le Danemark, p. LXII.
  2. H. Pontoppidan, Illum Galgebakke. — Cf. Le Danemark, p. LXI.