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en cause des ministres et les accuse d’incurie dans la préparation de la défense nationale. » Après ces quelques paroles, M. Clemenceau s’est tu. L’Officiel n’indique pas qu’il se soit produit aucun de ces mouvemens par lesquels la Chambre accueille d’ordinaire un discours qui l’a impressionnée. C’est que, en effet, la stupeur générale se traduisait par un silence glacial. M. Delcassé est remonté à la tribune et, dès les premiers mots, il a traduit le sentiment de tous en disant : « M. le président du Conseil abuse vraiment du privilège singulier de tout dire et de tout faire — impunément. » Au tressaillement de l’Assemblée, on a senti que cette impunité allait cesser. M. Delcassé a été très éloquent dans la défense de sa politique inopportunément attaquée, très éloquent aussi dans les accusations qu’il a renouvelées et accentuées contre les négligences de M. Clemenceau. Alors, celui-ci a tout à fait perdu la tête. « Qu’ai-je dit à M. Delcassé ? s’est-il écrié. M. Delcassé m’avait pris personnellement à partie… Je lui ai répondu : — Pendant que j’étais président de la Commission d’enquête, vous étiez ministre et vous prépariez une politique qui devait nous conduire à la plus grande humiliation que nous ayons subie. Vous nous conduisiez aux portes de la guerre et vous n’aviez fait aucune préparation militaire. Vous savez bien, tout le monde sait, toute l’Europe sait qu’à ce moment-là les ministres de la Guerre et de la Marine interrogés ont répondu que nous n’étions pas prêts. » En entendant ces paroles, la Chambre sortait, par des explosions successives, de ce silence précurseur des tempêtes dont nous avons parlé et dans lequel elle s’était enfermée d’abord. Elle se sentait atteinte et meurtrie dans ces blessures secrètes que le temps seul peut guérir et qu’une main imprudente et brutale ravivait comme à plaisir. Un chef de gouvernement a-t-il le droit, pour accabler un contradicteur, de commettre un pareil acte ? Les cris partaient de tous les bancs de la Chambre sous le coup de la douleur et de l’indignation. « Je n’ai rien dit, continuait M. Clemenceau, qui justifie ce semblant d’indignation… Je n’ai jamais humilié la France, M. Delcassé l’a humiliée. » Quoi ! nous n’avons pas été prêts un jour et un président du Conseil vient le crier à la tribune ! Quoi ! la France a été humiliée et un président du Conseil se fait, contre un homme, une arme de cette humiliation ! Quand même cela aurait été vrai, aurait-il eu le droit de le dire ? Et que penser de lui si ce qu’il a dit n’est pas vrai ? Or il n’est pas vrai que M. Delcassé ait humilié la France et que cette humiliation se rattache à Algésiras. Le seul jour où nous ayons éprouvé quelque humiliation est celui où M. Delcassé a été renversé, sacrifié, dans des con-