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fenêtres ouvertes. De petites figures pâlottes se montrent derrière les moustiquaires des couchettes. Des nurses en tabliers à bavettes circulent entre les rangées de lits. Partout, on sent l’iodoforme et les dégagemens chimiques des laboratoires : une bonne odeur de science et de pédagogie environne cette autre cité universitaire.

Un domestique me conduit chez le directeur M. Daniel Bliss, qui habite un élégant cottage, à l’extrémité des jardins, bien en vue de la mer. Je suis reçu dans une sorte de salon-bibliothèque : des rayons chargés de livres font tout le tour de la pièce ; des photographies d’art, des fleurs sont très esthétiquement disposées sur les meubles. On devine, dès le seuil, que le maître de ce studio est un homme de culture et de goût, habitué à la large existence américaine, et l’on reconnaît la présence et les soins d’une maîtresse de maison accomplie à tout ce qu’il y a de net, de poli, d’agréable et de sérieux dans l’arrangement de ce salon : cela me change de la pauvre cellule de mon jésuite. Mais je ne puis m’empêcher de songer que, là-bas, on est sans doute plus près qu’ici de l’esprit de l’Evangile…

M. Bliss commence l’entretien par une très libérale déclaration de principes et par un éloge de Renan. (Décidément, l’auteur de la Vie de Jésus est l’homme des Anglais ! Déjà, lord Cromer me l’avait vanté ! ) Par malheur, mon hôte s’exprime assez difficilement en français, et moi-même je sais trop mal sa langue pour essayer de m’en servir. J’ai donc peur, sinon de trahir, du moins de déformer sa pensée, en m’efforçant de la reproduire. Pourtant, il me semble bien qu’elle se ramenait à ceci, en ce qui concerne la propagande religieuse de la Mission Américaine : « Ne retenir du christianisme que ses préceptes les plus généraux et les plus accessibles à tous, afin que Musulmans, Juifs et Chrétiens orientaux y trouvent une règle morale qui ne contredise pas l’essentiel de leurs croyances antérieures. S’attacher moins à la personne qu’à l’esprit du Christ ; et, ainsi, dégager de sa doctrine une conception d’ensemble qui satisfasse toutes les aspirations vers l’Idéal, sans heurter les principes directeurs de la science moderne. » En d’autres termes, ce serait une religion sans dogmes, et moins une religion proprement dite que le culte du sentiment religieux.

Il est certain qu’une propagande ainsi conçue est fort ingénieuse. Mais je crains qu’elle ne soit aussi bien subtile pour des