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qui ont pris racine dans une croyance unique, et que, par elle-même, elle ne saurait constituer un schisme… » Contre le parti intolérant que soutiennent trop souvent ses légats, Innocent se prononce en faveur des modérés des deux Eglises qui croient l’union possible. En 1213, des conférences s’étaient engagées à Sainte-Sophie avec le métropolite d’Ephèse… Ces ouvertures ne réussirent pas. Elles posaient au moins la question de l’unité, et ce n’est pas une des moindres gloires d’Innocent III d’avoir, par son esprit de conciliation, tout fait pour la résoudre.

Voici donc un pape bien vivant, bien humain, et qui se dégage du nimbe de la légende pour prendre place dans la réalité de l’histoire. Peu de conducteurs d’hommes ont été étudiés avec autant d’équité, de finesse, et aussi de sympathie. L’historien d’Innocent III ne pouvait le séparer de son temps ; mais comme il le montre « supérieur à son temps, » en partageant les idées, et, si l’on veut, quelques-unes des faiblesses, le dominant toutefois et par la hauteur de l’idéal, la grandeur des desseins, la souplesse de l’action, l’énergie du caractère, « l’esprit de tolérance et d’équité ? » — « Il faut lui savoir gré d’avoir mis en lumière et recommandé au monde une maxime des temps apostoliques que certains réformateurs de la justice moderne prendraient volontiers comme devise : « La pitié prime la loi. » Et de même que l’homme a été grand, le pouvoir a été bienfaisant et utile. Dans cette société anarchique encore, où les peuples sont trop souvent livrés à l’arbitraire et à la force, où les grands n’ont aucun respect de la parole donnée, de la majesté du droit et de la sainteté du mariage, Innocent III représente seul les idées de progrès et de justice. Le régime qu’il rêve, la théocratie, n’était-il pas enfin, pour l’Europe, la seule organisation possible ? Cela, M. Luchaire a le mérite de l’avoir entrevu et de nous l’avoir montré. Le meilleur service qu’on puisse rendre aux grands hommes, est encore de les comprendre. Il semble qu’en fermant ces livres qui lui sont consacrés, nous connaissions mieux le plus grand des papes du XIIIe siècle, et que nous ayons quelque droit de l’admirer. Est-ce à dire que l’étude soit complète et le portrait définitif ? On a reproché à M. Luchaire d’avoir laissé dans l’ombre l’action spirituelle, fermé les yeux sur l’impulsion féconde donnée à l’Église, aux Universités, aux consciences. Sans doute était-il sensible à ce reproche et cherchait-il à se justifier en traçant, dans un