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dans les premières œuvres de l’historien d’Innocent III quelques procédés, quelques formules qui rappellent les Institutions politiques de l’ancienne France. Mais là s’arrête la comparaison. En réalité, M. Luchaire n’est le disciple de personne. Il s’est formé lui-même, et c’est encore un des traits les plus accusés de sa physionomie intellectuelle que, dans sa longue carrière, il fut en progrès continu. Son talent s’est élargi avec son œuvre ; ce fond premier, fait de sérieux, de patience, de justesse, de netteté d’esprit, s’est enrichi de tout l’apport qu’ajoute l’expérience de la vie au contact des livres. Une finesse plus grande, une forme moins raide, une intelligence plus vive et plus concrète du passé : voilà ce que l’âge et la réflexion lui ont donné. Il n’en garde pas moins ses traits distinctifs, ce par quoi il nous permet de le définir.

Il fut d’abord, avant tout, un érudit. — Que l’histoire exige une érudition bien faite, peu de principes sont aujourd’hui moins contestés. Il n’en était pas de même, en 1875, au moment où le futur auteur d’Innocent III commençait à écrire. L’influence de l’Allemagne savante, les travaux de Guérard, de Pardessus, de Fustel venaient à peine de nous détourner des systèmes ou des synthèses. On voulait que l’historien fût éloquent : dès ses premiers livres, M. Luchaire entend qu’il soit exact. Lire tous les textes, les contrôler avant de les grouper, se défendre des hypothèses aventureuses ou des généralisations prématurées, en un mot, soumettre les théories aux faits, non les faits aux théories, voilà les règles qu’il applique, qu’il appliquera toujours. Elles forment sa méthode ou, plus exactement, la méthode, cette technique générale, impersonnelle, « qui s’apprend, » qui s’impose à tous. Parcourez son œuvre. Elle vaut par la structure. L’auteur parle quelque part de ces historiens qui « travaillent en surface. » Lui, travaille surtout en profondeur. Dans ce domaine où s’est concentrée son énergie intellectuelle, il n’élève rien à la légère, ni au hasard. C’est sur le tuf qu’il a construit.

Ce sol primitif et ferme, ce sont les documens. Le premier soin de notre savant fut toujours de les consulter tous, et là où ils manquaient, de les découvrir. S’il fait l’histoire des Capétiens, il explore avec minutie toutes les chroniques de leur temps, comme tous les actes de leur règne. Nous parle-t-il d’Innocent III ? Il va tout droit au registre de ses lettres comme à la seule biographie que nous possédions. A ces témoignages officiels, voyez-le maintenant ajouter les chroniqueurs allemands, français,