Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le risque d’une infidélité, quel autre moyen que de ravir au Cabinet de Vienne, en réglant le litige franco-allemand, l’occasion même d’opter ? Dès le début de la crise orientale, il y avait eu à Berlin des velléités de profiter de cette crise pour préparer le rapprochement avec la France. Puis on avait hésité, craignant d’être entraîné trop loin, sans doute du côté de l’Angleterre. La nécessité, précisée par les événemens de novembre, de veiller étroitement sur la fidélité autrichienne, leva-t-elle les hésitations ? Il faut le croire : car, quinze jours à peine après l’incident de Casablanca, quinze jours après les instances autrichiennes en faveur de la France, les diplomates allemands commencèrent à parler, d’abord à Paris, peu après à Berlin, de l’accord marocain et de l’urgence de cet accord. Pour la libre pratique, pour la cohésion de la Triple-Alliance, l’Allemagne avait besoin de n’être pas exposée à un conflit avec la France. C’est pour se garantir cette sécurité morale qu’elle a pris son parti de la négociation tant de fois ajournée. Et c’est d’ailleurs au lendemain de son entente avec nous qu’elle a pu, sûre de son alliée, ressaisir dans la mêlée diplomatique le rôle actif et prépondérant auquel elle aspirait depuis longtemps.

D’ailleurs, par le fait même de l’incident de Casablanca et de la solution qu’il avait reçue, l’Allemagne avait été conduite à une vue plus juste des conditions de la politique générale. En affirmant sa capacité de résistance, la France avait manifesté sa capacité d’entente. Dès lors qu’elle était résolue à ne pas céder, elle était qualifiée pour négocier. Et la nécessité d’une politique nouvelle d’équilibre et d’égalité se précisait par l’inutilité même de l’ancienne politique d’hégémonie et de pression. « L’Empire d’Allemagne, disait le prince de Bülow le 29 mars dernier, est assez grand et assez fort pour poursuivre une politique claire, ouverte, droite. Et je tiens la convention relative au Maroc pour un résultat de cette politique. » La formule était heureuse. Mais on aurait pu répondre au chancelier qu’il lui eût appartenu d’en tirer plus tôt des conséquences pratiques. Si, quatre ans auparavant, l’Allemagne, satisfaite de ce qui dans ses gains était dès lors définitif, avait renoncé à les compromettre en prétendant les forcer ; si elle avait admis qu’un fleuve qui déborde rentre tôt ou tard en son lit et que ce qu’il perd en extension il le retrouve en régularité ; si, au lieu de copier trop étroitement les formules bismarckiennes, elle avait adapté aux circonstances le