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jour de sa rupture avec les catholiques, on pouvait prévoir l’échec final auquel il était condamné.

Sous sa direction ondoyante, la politique intérieure de l’Allemagne est demeurée conforme à ses traditions essentielles. Un constant souci des forces militaires, le développement de l’armée et la création de la flotte ; une lutte vigoureuse contre les socialistes ; quelques lois, moins nombreuses pourtant que dans la période précédente, de prévoyance et d’assurance sociales ; un grand souci des intérêts conservateurs, conséquence des liens étroits qui attachent la noblesse au trône ; l’affirmation brutale à l’égard des vaincus, notamment des Polonais, du Faustrecht germanique ; un compromis constant entre la volonté du prince et le vœu du pays ; une prodigieuse dépense de diplomatie à l’intérieur ; quelque subtilité dans l’intrigue et le goût des complications superflues : ce sont là les traits principaux de la politique du prince de Bülow. Mais ce sont ceux aussi de la politique allemande et du caractère allemand.

Les adversaires du chancelier tombé lui reprochent d’avoir diminué le prestige du souverain. Il faudrait être Allemand pour juger d’une question où le sentiment a plus de part que la raison. Dans l’orage qui secoua l’Allemagne à la fin de 1908, M. de Bülow fut-il mal inspiré de découvrir l’Empereur ? Ou, comme il l’a toujours affirmé, dut-il, pour prévenir de pires violences, consentir un sacrifice et faire la part du feu ? Il n’appartient pas à des étrangers de se prononcer à cet égard. Aussi bien ne convient-il pas d’attacher trop d’importance à la crise monarchique de l’an passé. Le souffle d’indiscipline n’a pas duré, et on a senti du remords dans la soudaineté de l’apaisement. Le roi de Wurtemberg disait que le premier mot de ses sujets en venant au monde était Nein ! L’esprit de fronde existe en effet en Allemagne comme ailleurs. Mais, pour le contenir, le sens national y est plus fort qu’ailleurs, et la cohésion patriotique qui unit, à l’appel du gouvernement, ce peuple de 60 millions d’hommes, reste la vérité profonde, que la France, plus que tout autre pays, doit se garder d’oublier.


ANDRE TARDIEU.