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et consultée encore aujourd’hui avec fruit. Jean Léon termine son livre vers 1S25, puis il disparaît de l’histoire : ses biographes supposent qu’il retourna à l’islam et dut mourir à Tunis avant 1550.

Domingo Badia avait été envoyé au Maroc par Godoy, le prince de la Paix. Sa mission aventureuse se rattachait à un projet de mainmise sur l’empire chérifien conçu très à la légère par le favori de Charles IV. Il ne dépendit pas des qualités extraordinaires dont fit preuve Domingo Badia que ce chimérique dessein ne reçût un commencement d’exécution. Revêtu d’un superbe costume musulman et se donnant pour un prince syrien, l’envoyé de Godoy avait débarqué à Tanger le 29 juin 1803, sous le nom d’Ali Bey el-Abbassi. Reçu par le sultan Moulay Sliman, il en était devenu le confident et l’ami. Un train fastueux dont Godoy faisait les frais, une prodigalité orientale, une certaine science de l’islam, mais, par-dessus tout, le plus imperturbable sang-froid lui avaient fait acquérir sur les populations indigènes une autorité et un ascendant considérables. Cependant le makhzen finit par prendre ombrage de ce pseudo-musulman dont il n’arrivait pas à percer le mystère et, par mesure préventive, le fit embarquer précipitamment à Larache, le 13 octobre 1805. Ali Bey visita alors successivement la Tripolitaine, l’Egypte, l’Arabie et la Syrie. Quand il arriva à Constantinople, en 1808, l’Europe était bouleversée, et c’est à peine si sa patrie existait encore. La trace du voyageur se perd alors au milieu des commotions politiques. Cette seconde partie de la vie d’Ali Bey est restée inconnue, et l’on peut dire qu’elle fut ignorée de ses contemporains, de ses compatriotes et quelquefois même de ses proches ; des documens inédits ont permis de la reconstituer.


I

Ali Bey se trouvait à Bayonne en mai 1808. Tout ce qu’il avait pu voir au Maroc et dans les cours d’Orient de puissance autocratique était dépassé par le pouvoir absolu de Napoléon Ier. Sur un ordre, Charles IV et son fils Ferdinand VII avaient successivement signé leur renonciation à la couronne ; une junte de commande avait prié Napoléon Ier de bien vouloir élever sur le trône d’Espagne son frère Joseph, le roi de Naples Ali Bey, habitué