Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/186

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ébranlée que M. Chabasson, le médecin français qui lui donnait ses soins, l’engagea avec instances à remettre à une autre année son voyage de La Mecque. Ali Bey, qui n’avait pas écouté ce conseil, serait mort de la dysenterie dans les premiers jours de septembre, à deux journées de marche de El-Mezeirib[1]. Le témoignage du P. Vilardell, celui de notre consul M. Regnault, enfin les propres déclarations de Badia qui, le 16 août, écrivait aux siens qu’il se sentait très gravement malade extremamente malo, semblent établir que la destinée extraordinaire d’Ali Bey s’est terminée par une mort naturelle, et qu’il est inutile d’accuser en la circonstance « le poignard de Birmingham. »

Peu connu de ses contemporains en raison de la nature secrète des missions qui lui furent confiées, Badia fut presque ignoré dans sa propre patrie : l’Espagne découvrit seulement en 1833 « que le vaillant prince Ali Bey n’était autre que D. Domingo Badia y Leblich, natif de Barcelone ; » elle s’empressa alors de faire faire une édition espagnole des Voyages d’Ali Bey qui avaient été déjà traduits dans les principales langues de l’Europe.

Domingo Badia, sous son nom ou sous son surnom d’Ali Bey, est donc très rarement mentionné dans les Mémoires du temps, et il ne faut guère compter sur cette source habituelle d’informations pour tracer de lui un portrait définitif. Deux voyageurs anglais, Jackson, en 1820, et Bowdich, en 1821, furent les premiers à appeler sur Ali Bey l’attention du public. Jackson donne surtout des détails sur le séjour du voyageur au Maroc ; les anecdotes qu’il raconte, généralement de provenance indigène, sont sujettes à caution ; il ne se compromet d’ailleurs pas par une appréciation d’ensemble du personnage, et il se borne à constater qu’il possédait des aptitudes peu communes : this gentleman possessed abilities of no ordinary degree. Très suggestif est, au contraire, dans sa forme dénigrante et un peu brutale, le jugement porté sur l’homme par Bowdich. « Badia, écrit-il, fut un gascon en politique et un charlatan en science. » Les conceptions politiques de Badia n’étaient pas à proprement parler des gasconnades, car lui-même était la première dupe de

  1. Le P. Vilardell prétendait tenir du chef de la caravane que les serviteurs qui avaient dépouillé le corps d’Ali Bey pour procéder aux ablutions rituelles, avaient trouvé une croix sous ses vêtemens ; cette découverte ayant révélé l’origine chrétienne du voyageur, celui-ci aurait été privé de la sépulture musulmane.