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III

En ce qui concerne la politique extérieure de l’Etat romain, vouloir déterminer le rôle qu’y ont joué les habitans de l’Aventin reviendrait à chercher la part que les intérêts commerciaux ont eue dans toutes les guerres et les négociations de la république. Cette part a certainement été considérable, on peut l’affirmer a priori. La plupart des expéditions militaires, en tout pays, ont pour secrets motifs des ambitions économiques : on veut se créer des débouchés, abattre des concurrens, s’assujettir une clientèle jusqu’alors neutre ou flottante, — et voilà les soldats en campagne. Cela est vrai, non seulement d’oligarchies commerçantes et bourgeoises, comme celles de Venise, d’Amsterdam ou de Londres, mais même d’une royauté telle que celle de Louis XIV : la guerre de Hollande n’a-t-elle pas été conçue en grande partie pour débarrasser les négocians français de rivaux dangereux ? et, dans leur fameux « passage du Rhin, » les Grammont et les Vivonne se doutaient-ils qu’ils travaillaient pour le compte d’armateurs ou de fabricans que probablement ils méprisaient fort ? Il a dû en être de même à Rome. Les victoires retentissantes, les faits d’armes chevaleresques, l’écroulement des monarchies, tout ce décor héroïque et pompeux recouvrait des entreprises financières ou industrielles. Une guerre était une « affaire. » Les légionnaires qui s’en allaient conquérir le monde étaient, sans le savoir, des ouvriers à la solde de quelques spéculateurs : ceux-ci, dans leurs banques ou leurs comptoirs de l’Aventin, s’enrichissaient obscurément tandis qu’on se battait en Espagne ou en Asie, tirant du succès final autant de gros bénéfices que l’imperator y ramassait de gloire.

Bien des indices autorisent cette façon de penser, entre autres ce fait notable qu’en dernière analyse les villes détruites par les armées romaines furent toujours celles qui faisaient obstacle au commerce romain : les villes d’Etrurie, dont les marchés attiraient les acheteurs au détriment de celui des bords du Tibre ; — Capoue, la métropole économique de l’Italie du Sud ; — Tarente, qui avait si longtemps barré aux armateurs latins l’accès des riches contrées orientales ; — Corinthe, qui, de sa forte position isthmique, dominait les deux mers grecques, si bien que Rome n’y pouvait trafiquer qu’après l’avoir détruite :