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temps de l’expédition de Sicile comme dans tel grand Etat de nos jours, lutte entre ceux qui ne s’occupent pas de l’étranger du moment qu’il les laisse tranquilles, eux et leurs terres, et ceux qui vont se heurter à lui pour lui disputer l’hégémonie financière, lutte entre les ruraux et les spéculateurs, entre les deux formes de la richesse, la terre et l’argent.

Cette lutte s’est prolongée, nous pouvons en être sûrs, pendant toute l’histoire de la république romaine. Il est remarquable que presque tous ceux qui ont étendu l’empire ont été liés avec les hommes d’argent, chevaliers ou plébéiens, et ont été portés par eux, plutôt que par la noblesse, au commandement des armées : Scipion Emilien, Mummius, le destructeur de Corinthe, Marius, Lucullus, Pompée, César. On a le droit de penser qu’au début de toutes les guerres importantes, il s’est passé ce que nous avons vu tout à l’heure se produire pour l’expédition d’Afrique. Chaque fois que la question s’est posée, les deux forces antagonistes se sont retrouvées en présence, l’aristocratie terrienne s’obstinant à retenir la puissance romaine à l’intérieur des limites déjà atteintes, le monde de la finance l’engageant dans de nouvelles guerres pour s’assurer de nouveaux champs d’action. Et chaque fois l’argent a vaincu la terre, sans quoi Rome n’aurait pas livré tant de combats, ni subjugué tant de contrées. L’impérialisme des Romains, pour employer le mot consacré, a été beaucoup plus économique que militaire dans ses causes. À cette domination universelle, les politiques et les généraux ont fourni les moyens, mais ce sont les marchands et les banquiers qui ont donné l’impulsion première. Et puisque l’Aventin était leur siège par excellence, on peut dire que de ce quartier surtout est partie l’hégémonie romaine, comme d’ailleurs elle lui a profité plus qu’à tout autre. L’ancienne noblesse foncière n’avait pas besoin de ranger autant de pays sous les lois de Rome ; elle n’y gagnait rien ; elle y perdait plutôt, et le sentait si bien qu’elle y répugnait fort. Elle ne l’a fait que sous la pression de ses voisins les commerçans. C’est, si l’on veut, Rome Palatine et Capitoline qui a conquis le monde, mais c’est l’Aventin qui l’a forcée à cette conquête.

Dans la vie intérieure de la cité, le rôle de l’Aventin n’a pas été moins important que dans ses relations extérieures. De même qu’il a été pour beaucoup dans la transformation de la petite peuplade primitive en un empire universel, il a été aussi l’un des