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et disciplinés ; ils annoncent leurs étapes avec une précision que les faits justifient : demain 2 mai, ils seront à Versailles ; ils feront le 3 mai leur entrée à Paris. En même temps qu’eux, se répandaient dans les villes et dans les campagnes une nuée d’émis ? aires mystérieux, qui, dit Hardy, « persuadaient au menu peuple, pour l’exciter, qu’il allait mourir de faim, parce que l’on portait tout le pain à Paris. » L’autorité, dans cette première journée, paraît avoir perdu la tête. La maréchaussée ni la troupe n’ont d’ordre pour intervenir. M. Lenoir, lieutenant de police, réclame des instructions écrites et, en les attendant, ne prend aucune mesure.

Enhardis par l’impunité, les séditieux suivent de point en point leur programme. Le mardi 2 mai au matin, le Roi, sortant pour se rendre à la chasse, aperçoit une grosse foule de gens de mauvaise mine, des bâtons à la main, débouchant à Versailles par la grand’route de Saint-Germain et se portant sur la place du marché. Aussitôt, il rebrousse chemin, rentre au château, dont on ferme les grilles, fait prévenir le prince de Beauvau, capitaine des gardes-du-corps, de rassembler les troupes, mais avec la défense expresse de les laisser se servir de leurs armes. Turgot et le comte de Maurepas venaient de partir pour Paris, où l’on craignait un soulèvement ; Louis XVI, privé de ses conseillers habituels, avait donc charge, à lui tout seul, d’organiser la résistance. Il se tira d’affaire avec plus de sang-froid qu’on n’eût pu l’espérer. Les princes de Beauvau et de Poix, mandés au cabinet du Roi, reçurent de lui des instructions précises ; puis il écrivit à Turgot le billet ci-après, daté de onze heures du matin[1] : « Versailles est attaqué, et ce sont les mêmes gens de Saint-Germain… Vous pouvez compter sur ma fermeté. Je viens de faire marcher la garde au marché. Je suis très content des précautions que vous avez prises pour Paris ; c’était pour là que je craignais le plus. Vous ferez bien de faire arrêter les personnes dont vous me parlez ; mais surtout, quand on les tiendra, point de précipitation, et beaucoup de questions. Je viens de donner des ordres pour ce qu’il y a à faire ici, et pour les marchés et moulins des environs. »

L’émeute, pendant ce temps, se déchaînait avec fureur dans les rues de Versailles. Le marché fut pillé ; « des femmes, écrit

  1. Documens publiés par M. Étienne Dubois de l’Estang, dans sa notice sur Turgot et la famille royale.