Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/282

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

victimes de l’émeute, dans la proportion compatible avec la situation financière. Un négociant nommé Planter, dont on avait saccagé les bateaux, reçut une somme de 50 000 livres. « ce qui rassura le commerce et arrêta la panique. » Louis XVI adressa cette lettre émouvante au ministre de sa Maison[1] : « Je sens que les malheureux qui ont été pillés ont droit au moins à des soulagemens, puisque l’étendue du mal me mettra dans l’impossibilité de les dédommager en entier. Tout cela coûtera beaucoup. Il faut réduire encore, s’il est possible, les frais de mon Sacre... Je ne veux non plus de séjour, que pour peu de jours, à Compiègne ; et les sommes destinées à ces différens objets serviront à payer en partie les dépenses qu’exigent la protection et les secours que je dois à ceux de mes sujets qui ont été la victime des séditieux. »

Malgré toutes ces réparations, il demeura dans les esprits une secrète inquiétude et un trouble durable. Le prestige de Turgot reçut une indéniable atteinte. Des doutes s’élevèrent sur la clairvoyance de celui dont, six semaines plus tôt, on attendait le retour de l’âge d’or, sur l’à-propos de ses réformes, la sagesse de sa politique. Ces méfiances, habilement semées, perfidement entretenues par des adversaires sans scrupule, germeront peu à peu dans l’âme timide du Roi, détruiront enfin l’harmonie entre les deux hommes de ce temps les plus sincèrement passionnés pour le bien de l’Etat et le bonheur du peuple.


MARQUIS DE SEGUR.

  1. Lettre du 31 mai 1775, au duc de La Vrilliére,