détruites. Il en avait gardé quelques-unes, en brouillon ou en copie, que M. Jules Troubat a publiées dans le Clou d’or, et celles-là suffisent pour nous donner une idée des autres.
Née à Paris le 29 octobre 1810, Sophie de Bazancourt était la fille du général de ce nom et la nièce de MM. de Barante et Molé. Élevée très chrétiennement par sa mère, Elisa d’Houdetot, on l’avait mariée à vingt-deux ans à M. Loyré d’Arbouville, qui en avait trente-quatre. Elle était plutôt mal de figure, elle avait des traits forts et de gros yeux qui, de prime abord, disposaient peu en sa faveur ; mais, dès qu’elle ouvrait la bouche, on oubliait sa laideur relative. Elle était, en effet, très spirituelle, et son esprit, qu’elle avait embelli, par une forte culture, de toutes les séductions, de toutes les grâces, était à la fois sérieux et léger, délicat et charmant. Elle pouvait soutenir une conversation avec n’importe qui sur n’importe quel sujet. Avec cela modeste, ennemie du bruit, et le cœur sur la main. C’était plus qu’il n’en fallait pour lui faire une petite cour ; aussi, lorsque après le départ de son mari pour l’Afrique, Mme d’Arbouville vint s’établir à Paris, fut-elle tout de suite très entourée.
Sainte-Beuve fut un de ses premiers visiteurs. Il lui avait été présenté par M. Mole, qu’il voyait beaucoup depuis son retour de Lausanne, et Port-Royal aidant, — car elle était au fond quelque peu janséniste, — ils s’étaient sentis presque aussitôt attirés l’un vers l’autre. N’oublions pas que le premier volume de Port-Royal parut en 1840 et qu’il eut un grand succès dans le monde. C’est même à la faveur de cet événement littéraire que Sainte-Beuve vit toutes les portes s’ouvrir devant lui et qu’il devint malgré lui mondain[1]. Je dis « malgré lui, » parce qu’il n’aimait pas le monde[2]. Outre qu’il était solitaire et casanier de sa nature, il était très jaloux de son indépendance
- ↑ Il écrivait à Juste Olivier, le 19 février 1841 : « Je suis des plus mondains cet hiver, probablement pour me distraire des graves douleurs d’il y a quelques mois. Je vais partout où l’on m’invite, de sorte que je ne saurais dire où je ne vais pas, ne fût-ce qu’une ou deux fois. » (Correspondance inédite de Sainte-Beuve avec M. et Mme Juste Olivier. — Librairie du Mercure de France.)
- ↑ On lit dans le Clou d’or : « Je ne suis pas fait pour le monde qu’à la rencontre et au passage ; mais d’habitude, de liaison ordinaire, point. Ceci me reprend et éclate dès que j’ai un moment à voir clair et à respirer. »