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m’ôtez le droit de me plaindre, d’en vouloir, d’être mélancolique. Soyez donc remercié.

« On est bien un peu tantôt chez la tante[1]. Mais c’est ce soir de très bonne heure qu’elle vous demande. J’achève la soirée chez M. Molé. Venez donc de bonne heure. Mille amitiés dévouées. »


Cette année-là commençait bien ; cependant elle eut ses nuages comme les autres. Mme d’Arbouville écrivait à Sainte-Beuve au mois de mars :

« Que devenez-vous par cet affreux temps ? Moi, je quitte à peine mon lit, et un violent mal de gorge persiste, et j’en suis toute découragée ! Vous avez été un peu brusque, l’autre soir. Vous aviez l’air de ne pas me pardonner le désir de vous avoir au coin de mon feu ? J’espère qu’il n’en sera résulté aucun mal.

« J’ai bien réfléchi à tout ce que vous m’avez dit, et vous avez raison. Je profiterai de vos conseils. Je remercie votre cœur et votre esprit de me les avoir donnés. Il n’y a que nos amis qui réfléchissent si bien sur nos fautes. J’ai été touchée du soin avec lequel vous aviez lu, — et il est bon d’avoir pour phare un esprit aussi distingué ; — mais quand vous dites qu’on trouve dans mon livre, comme dans ma personne, quelque chose d’odieux, n’est-ce pas un peu fort ? Demandez vite pardon ! (Il est accordé depuis longtemps !)

« Mille amitiés, monsieur, et donnez-moi de vos nouvelles. »

« Odieux » était un peu fort, en effet. Mais cette charmante femme s’était promis de tout passer à Sainte-Beuve, sentant bien que tout cela était au fond du dépit amoureux.

« Écoutez bien ceci, lui disait-elle un jour : vous pouvez me faire mille contradictions, me dire mille jugemens sévères, m’assurer que vous n’avez plus d’affection pour moi, que je vous déclare, monsieur, que je ne vous croirais pas. Je crois en vous à jamais, et je compte mourir (fort tard) avec cette croyance. »

N’est-ce pas délicieux ? Ah ! que Sainte-Beuve avait raison — et tort — de dire :

« Elle est un charmant mélange de bon sens, de légèreté, de coquetterie, et de vertu. Il y a là de quoi pétrir la plus divine saveur d’amitié. Mais je ne suis pas digne de l’amitié, puisqu’elle

  1. Mme d’Houdetot-Fleming.