Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/538

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tournaient mal. À ce premier réquisitoire vinrent ensuite s’ajouter d’autres imputations d’une égale gravité, malversations, gains illicites, divulgations dans un intérêt personnel des secrets de l’Etat. Lancée à Londres et à Paris à plusieurs milliers d’exemplaires, soutenue par un mémoire du fameux avocat Gerbier, représentant les intérêts des banquiers britanniques, cette plainte fit un affreux tapage. Guines riposta avec vigueur, niant tous les méfaits reprochés et chargeant son ex-secrétaire du double crime de « vol d’argent et de papiers d’Etat. » Je ne mentionne que pour mémoire une complication qui surgit et qui aggrava le débat : la plainte que d’Aiguillon, ministre alors des Affaires étrangères, porta contre Gerbier, le plus célèbre avocat de Paris, « intendant des finances de Monsieur frère du Roi, » accusé par le duc de subornation de témoins. Gerbier, « décrété au Châtelet, » ne parvint à se justifier qu’après des tribulations innombrables. Pendant deux longues années, une pluie de brochures, de factums, s’abattit sur Paris, énervant l’opinion et épaississant le mystère. Les amis mêmes du comte de Guines ne savaient plus trop que penser : « Le mémoire de M. Tort, écrivait Mme du Deffand, est d’une audace qui en impose ; mais il me semble qu’il ne prouve rien, quoiqu’il donne de violent soupçons… Je tiens que ce pauvre M. de Guines est le plus malheureux de tous les hommes. » — « M. de Guines peut avoir raison, concluaient les mauvais plaisans, mais il n’en a pas moins eu Tort pendant trois ans. »

La lutte, malgré tout ce fracas, était demeurée jusqu’alors dans les limites d’un conflit judiciaire, lorsque la passion politique s’en mêla fort mal à propos et d’une querelle privée fit une affaire d’Etat. Le comte de Guines, soufflé par le parti Choiseul, s’avisa soudainement que le duc d’Aiguillon, successeur de Choiseul au ministère des Affaires étrangères, avait été l’instigateur et le « moteur caché » du coup dirigé contre lui, ou du moins l’avait desservi, au lieu, comme c’était son devoir, de soutenir l’envoyé du Roi. Un billet violent adressé à Louis XVI et lu au conseil des ministres mit d’Aiguillon en cause et demanda justice d’un aussi mauvais procédé. D’Aiguillon riposta en termes non moins vifs ; ses partisans entrèrent à leur tour en campagne et jetèrent feu et flammes contre le comte de Guines. Le conseil, saisi par Vergennes, délibéra en présence de Louis XVI sur ce nouveau litige et ne décida rien. Par ce billet confidentiel,