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le trône ? Et pourquoi, s’il le trouvait coupable, avait-il attendu si longtemps à le punir ? » On croyait voir, dans cette mesure sévère, le retour à des mœurs qu’on croyait à jamais proscrites, le désaveu des belles promesses d’un règne qui s’était annoncé comme une ère de douceur et de légalité. Le baron de Besenval constate avec dépit ce mouvement d’opinion : « Le sentiment de vengeance et de justice fut étouffé, dit-il, par une compassion philosophique, que les femmes, qui s’étaient érigées en législateurs, outrèrent, ainsi qu’elles outrent toujours tout. On n’entendait que les mots de tyrannie, de justice exacte, de liberté du citoyen et de loi. » La plus grande part du blâme retombait sur la Reine. D’Aiguillon exilé lui fut plus nuisible, sans doute, que présent à Paris et chef de la « cabale. » C’est sur son rôle en cette affaire, écrira le Comte de Provence[1], « que l’on s’est fondé depuis pour lui donner la renommée de méchante et d’implacable. » Mercy dénonce, de son côté, l’égoïsme des faux amis qui, « excitant en elle des sentimens de haine et de vengeance qui ne sont point dans le caractère de cette jeune princesse, » sacrifient sans scrupule à leurs vues personnelles « la gloire et l’utilité de la Reine. »

L’exil de son neveu parut, dans le premier moment, devoir amener la retraite de Maurepas. Ce fut le bruit général à Paris, et déjà l’on nommait Choiseul comme le successeur désigné. Maurepas, volontairement sans doute, s’arrangea de manière à accréditer cette rumeur. Il « fit le mort » pendant quelques semaines. Prétextant ses années, sa goutte, la fatigue du voyage, il refusa de prendre part au Sacre, s’en fut à Pontchartrain, tandis que la Cour tout entière se transportait à Reims, laissant ainsi, en apparence, le champ libre à ses détracteurs. Tout porte à croire, d’ailleurs, que le rusé vieillard, avant de prendre ce congé, n’avait pas négligé de mettre son royal élève en garde contre les assauts qu’il aurait à subir et de lui faire adroitement la leçon. Et sans doute comptait-il aussi sur les fautes de ses adversaires, sur l’ivresse qui succède aux trop faciles victoires, sur l’impatience des amis de Choiseul, sur le maladroit empressement de Marie-Antoinette. Si, comme il est probable, il fit réellement ce calcul, il n’eut pas longtemps à attendre pour en éprouver la justesse.

  1. Réflexions historiques, passim.