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et tout de suite, des gens sur la capote, sur les marchepieds, entre les roues… Ainsi les insectes du sable pullulent sur le marsouin échoué. Devant nous, il y a un bel arc de triomphe tout de verdure et de calicot rouge, historié d’inscriptions en or, autour duquel sont massées les délégations des imams libéraux, une centaine de vénérables bonshommes en robe verte et turban blanc. Derrière nous, la foule, les policiers du service d’ordre, quelques cavaliers de Péra, des voitures ouvertes avec des dames élégantes, des voitures fermées avec des dames mystérieuses, et aux fenêtres des pavillons, toute la famille impériale, — les princes à gauche, et à droite les princesses en toilette de cour, féredjé clair et yachmak blanc.

Ces princesses, tirées brusquement de leur réclusion, exposées, sous le rempart transparent d’une mousseline, à la curiosité respectueuse du peuple, paraissent se divertir beaucoup. Elles se lèvent à demi, pour regarder l’automobile et peut-être envient-elles les étrangères qui imposent leur fantaisie à ce monstre et aux hommes qui le dirigent. Cependant, un bon policier, rempli de zèle et surpris par notre façon de nous établir à la meilleure place, veut faire acte d’autorité. Il adresse à M. Paul Belon un émouvant discours en turc. Avec quelle indulgence on l’écoute, avec quel sérieux on lui répond ! « Oui, mon vieux, tu es bien gentil… Voilà la carte de Chevket Pacha !… Ça ne nous plaît pas de nous en aller et nous ne gênons personne… Cette auto que tu vois, c’est l’auto de la presse et c’est sacré !… Et toi-même, tu seras le bon sergot de la Presse, et tu auras un petit backchich… Fais circuler ces braves gens qui nous accablent d’une sympathie étouffante. Tu peux laisser le gros eunuque noir qui s’est assis à côté des dames, sur le marchepied. Il est pittoresque. Il est inoffensif… » Etourdi par les paroles incompréhensibles de notre confrère, saisi de respect à la vue du coupe-file, au nom de Chevket Pacha, le « sergot de la Presse » devient le docile serviteur de M. Belon. Il pousse des cris variés qui signifient sans doute : « Circulez ! » et pour activer la circulation, il tape, à coups de bâton, sur ses compatriotes. Le représentant de la maison d’automobiles se déride enfin 1 II a meilleure opinion du peuple turc, et de sa voix faubourienne, il encourage le gardien de l’ordre public et invective les curieux éparpillés.

Les sultanes, là-haut, s’amusent comme des folles, et dans