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être pour me le faire admirer. Jamais encore je n’avais vu un bébé nègre âgé de neuf jours. C’est quelque chose de touchant et de comique, une espèce de poupée noire à petits cheveux frisottans, le front tatoué de bleu, les mains froides, douces, plissottées, plus pâles que le visage.

Je dis à la maman :

Tchok guzel ! (Très joli.)

Mon répertoire turc est court, mais ces deux mots flatteurs font un grand effet. Quelques figures s’éclairent de gaîté moqueuse et bienveillante. Et les servantes, aussitôt, selon le rite, me demandent le nombre de mes enfans… Trois !… Un garçon !… Machallah !… Dieu les conserve ! Et qu’il conserve surtout le mâle !

Revenus dans le cabinet du directeur, le gros médecin réclame mes impressions… Je lui dis, avec franchise, que son hôpital est très bien tenu, aussi gai que peut être un hôpital, mais que les malades sont bien mornes, bien intimidées. Il ne répond pas. Il sourit. Je crois qu’il n’a pas compris ma pensée…


Mai.

Au Séraskiérat. Dans un vestibule immense, où des officiers, des soldats, des fonctionnaires en stambouline passent et repassent, où les portes s’ouvrent et se referment sans cesse, où le mouvement continu multiplie les courans d’air, nous attendons les cartes qui nous permettront d’entrer à Yldiz, demain.

Il y a, dans notre groupe, trois vrais journalistes. Les autres se sont attribués indûment cette qualité, même le représentant de la compagnie d’automobiles, et sa femme.

Petite supercherie, bien innocente… Nous attendons. Un officier apporte les cartes, M. Paul Belon me dit :

— Voulez-vous remercier Chevket Pacha ? Il ne faut pas quitter la Turquie sans avoir vu Chevket Pacha, l’âme de la révolution, le maître de l’heure ?

Le « maître de l’heure » consent à nous recevoir tout de suite.

Me voilà donc dans une vaste pièce, inondée de jour par plusieurs fenêtres, drapée de tentures rouges, meublée de tables et de fauteuils vaguement Louis XV, trop dorés. Des officiers d’état-major sont là, tous debout, et le général debout me