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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/596

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moque de moi, avec sa douceur sournoise, son sourire pincé, son œil aiguisé de malice.

Il reprend :

« Quand nous nous marions, nous expliquons à nos femmes que nous sommes obligés de passer le pont, d’aller à Péra pour nos affaires. C’est à Péra que sont les banques, les ambassades, etc. Nos femmes ont un préjugé contre Péra, cette ville de liberté et de débauche où il y a des femmes en chapeau, dans les rues, et des femmes décolletées dans les salons. Pourtant, elles se résigneraient… Les affaires sont les affaires… Mais la vieille hanoum, la belle-mère qui est « à la turque, » corps et âme, arrive un beau jour : « Où est ton mari, ma fille ? Est-ce qu’il te négligerait ? — Maman, il est à Péra. — À Péra ! Tu dis cela tranquillement ; il est à Péra ! — Oui, maman, pour ses affaires. — Ma fille, tu es une sotte et ton mari un débauché. Quand un homme va à Péra, on sait pour quoi faire. Il te trompe, ma pauvre enfant ! Il te trompe avec des modistes et des chanteuses. » Le mari rentre à midi : « Tu es allé à Péra ? — J’y suis allé. — Pour affaires ? — Pour affaires… — Misérable ! Ma mère m’a tout dit. Quand un homme marié va à Péra, c’est… » Larmes, pâmoisons… On se réconcilie ; on se réconcilie complètement. « Tout de même, pense l’épouse, il n’a pas dû me tromper cette ardeur me rassure. » Le même jour, le mari retourne à Péra… Le soir, même scène, même dénouement. « Ma mère, dit la jeune mariée, le lendemain, je ne crois pas que mon mari soit infidèle parce que… — Hé ! ma fille, répond Son Altesse Scorpion, cela prouve que ton mari est un homme de ressources, mais ce serait bien autre chose encore s’il n’était pas allé à Péra. »

— Et voilà comment un ménage se détraque, dit I… bey.


Mai.

Confidences féminines :

« Chère amie, prenez ce crayon, écrivez, écrivez… Je vais vous raconter mon histoire… pour publier… Ne faites pas attention à cette dame qui est sur le divan… Elle ne sait pas le français. Mais très intelligente, grande révolutionnaire de Salonique,… très intelligente, cette dame !… Elle a porté des revolvers dans des caisses à biscuits, et des lettres dans ses poches,