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l’amour. Et tout de même, au fond, j’ai une sympathie, une affection pour Djavid Pacha… Je ne voudrais pas qu’il fût malheureux ou malade… Je lui pardonne. Je ne peux pas le détester, chère amie. »

Mme Ange regarde le portrait de l’Holopherne barbu, et, les yeux humides, après un instant de rêverie, elle murmure :

« Il était beau, Djavid Pacha ! »


Mme Ange veut aller à Paris. Elle m’a demandé des renseignemens sur les trains et les bateaux.

— Je n’irai pas seule, chère amie, parce que j’aurais honte des messieurs (sic). Je veux emmener ma petite esclave et mon vieux cuisinier arménien.

J’insinue que ce cuisinier, promu écuyer cavalcadour, sera peut-être plus gênant qu’utile. Il a soixante-dix ans et ne connaît pas le français.

— Ça ne fait rien. Je parlerai pour lui. Et je verrai tout, tout… bals, théâtres, concerts, Sorbonne…

— Et vous garderez le tcharchaf ?

— Je mettrai un cache-poussière et un petit voile comme à la campagne.

Elle demeure pensive :

— Prêtez-moi votre chapeau, chère amie, pour voir comment ça fait sur ma tête.

Elle met le chapeau cloche sur son bouffant bicolore et minaude devant la glace :

— Hé ! il me va bien.

Et tout à coup :

— Ah ! fermez la porte, chère amie ! Si mon esclave me voyait, elle dirait que je me suis faite chrétienne !

Fermer la porte ? Je veux bien, mais aucune porte ne ferme exactement, chez Mme Ange. Celle de ma chambre, je dois la maintenir en mettant une chaise tout contre, le matin et le soir.

Mme Ange assiste à ma toilette. C’est, dit-elle, son devoir d’hôtesse de me servir. Elle m’a gentiment offert son propre linge, mais nous n’avons pas les mêmes mesures. Elle s’inquiète aussi, beaucoup, des fluctuations de la mode, de la longueur des corsets les plus récens, de la platitude des jupons. Elle porte même, aux chapeaux, un intérêt platonique.