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relations existant entre les deux pays. Thiers persistait à croire que Gontaut devait partir. Toutefois, on aurait de la peine à lui trouver un successeur. « Nous convînmes, ajoute Hohenlohe, que nous nous communiquerions nos idées sur le sujet. Passant à l’alliance des trois empereurs, il émettait des doutes sur ses chances de durée. Aussi était-il nécessaire que l’Allemagne et la France restassent en bons rapports. — C’était là mon sentiment, répondis-je ; mais je ne voyais pas bien comment on pouvait concilier ces bons rapports avec le mécontentement qui régnait en France. — Jusqu’à présent, répliqua Thiers, la France et l’Allemagne ressemblaient à ces lévriers qu’on attache par couple et qui tirent chacun dans une direction différente. Maintenant, les choses ont changé. Peu à peu, on rentre dans un droit chemin et l’on peut s’entendre. — Cette observation est juste, repris-je, aussi longtemps que la France luttera contre le même adversaire. » Et dans ses notes le prince ajoute : « Thiers semble toujours tenir à son idée favorite : le rapprochement avec l’Allemagne, ou du moins fait-il comme s’il y tenait. Mais je me souviens du mot d’Orlov : « Thiers aime à jouer à la bascule et à entretenir de bonnes relations tour à tour avec chacun. » On en vint ensuite à la question d’Orient. Ce qui ajoutait au danger, suivant Thiers, c’est que l’opinion publique s’irriterait si les cruautés des Turcs contre les Serbes continuaient. L’Europe a ses nerfs. Tous les peuples qui composent la Turquie réclament leur indépendance : la Serbie, le Monténégro, la Bosnie. La Turquie ne peut rien pour les retenir. Le Sultan, dit Thiers, est un coquin qui, entre autres coquineries, se fait payer les coupons des obligations de l’emprunt qu’il détient. » Il croyait savoir que la conférence des trois chanceliers, Gortchakof, Andrassy et Bismarck, aurait pour effet une intervention de l’Autriche en Bosnie. « C’est, disait-il, l’unique manière de faire la paix. » Passant à la politique intérieure de la France, Thiers émettait l’idée que la communauté d’intérêts dans la lutte contre l’ultramontanisme offrait une garantie pour la durée des bons rapports entre l’Allemagne et la France.

Quelque temps après, un autre entretien eut lieu entre Thiers et Hohenlohe au sujet du Sénat. L’ancien président le trouvait excellent et lui prédisait le meilleur avenir. L’élément dominant y était constitué par la classe riche de la bourgeoisie, à qui la forme de gouvernement importait peu, pourvu que ses richesses