Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/653

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus passionné, ne pénétra plus profondément jusqu’à l’essence même de ses monumens, tout en gardant une absolue indépendance de manière, en pliant, avec une habileté parfaite, les vieilles règles aux nécessités modernes et au besoin plus développé du confort. L’impression si forte que produisent ses œuvres vient de leur simplicité sévère et de la subordination constante des parties à l’ensemble. Le secret de son art, tout illuminé d’intelligence, c’est l’extrême propriété des termes. Aussi, malgré les formules qu’il posa, il ne se répéta pas. Nul n’est plus divers dans son apparente unité ; chacune de ses constructions, de ses façades même, a son caractère propre. Il restreignit à ses justes mesures la décoration exubérante qui était de mode au début de la Renaissance et s’efforça de ne jamais troubler le rythme des lignes par la fantaisie de l’ornementation. Il est peut-être le seul architecte qui n’ait jamais recherché un effet de détail décoratif ni eu d’autre souci que l’ordonnance logique et la justesse des proportions. Aussi, nul enseignement ne fut-il plus fécond. Quand Michel-Ange s’écriait, avec cette sorte de divination des génies : « Ma science créera un peuple d’ignorans, » c’est qu’il sentait que lui seul pouvait se permettre les hardiesses qu’il osait et que ses chefs-d’œuvre portaient en eux-mêmes, pour les simples artistes qui voudraient les imiter, des germes de dissolution et de mort. Palladio, qui n’avait jamais sacrifié qu’à la raison, put, en toute certitude, écrire son grand ouvrage : I quattro libri dell’ Architettura et établir des lois qu’il savait éternelles.

La moindre de ses gloires ne sera pas d’avoir été le premier à donner à Gœthe une représentation matérielle de l’art classique. Nul ne pouvait être plus instructif pour le Germain qui, à la recherche de la beauté antique, devait être d’abord sensible à l’architecture. A Vérone, qu’il visita avant Vicence, il n’avait guère été séduit que par l’Arena. Les peintres n’intéressent pas beaucoup celui qui, à Assise, ne remarqua que les restes d’un temple de Minerve ; il l’avoue d’ailleurs franchement : « Je reconnais sincèrement que je comprends peu de l’art et du métier du peintre ; aussi mes observations ne porteront-elles que sur la partie pratique, c’est-à-dire sur les sujets et la manière dont ils sont traités. »

J’ai voulu, cette année, après tant d’autres séjours à Vicence, revoir les constructions de Palladio qui frappèrent le plus