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avec un Œdipe traduit par Orsata Justiniani, noble vénitien. Parmi les acteurs figurait ce Verato pour qui le Tasse a écrit l’un de ses plus beaux sonnets ; et, au dernier acte, le rôle d’Œdipe était tenu par Luigi Grotto, auteur dramatique aveugle de naissance. Sans doute, les vers de Justiniani devaient être médiocres ; mais qu’importe ? Le frisson de la beauté antique avait secoué les Vicentins.

La Basilique, qui retint ensuite l’admiration de Gœthe, est peut-être le chef-d’œuvre architectural du XVIe siècle. Burckhardt déclare qu’à Venise elle rejetterait tout à fait dans l’ombre la Libreria de Sansovino, qui est cependant l’une des parures de la place Saint-Marc. Elle est en tout cas la merveille de cette Piazza dei Signori que complètent si pittoresquement la Loggia del Capitanio, l’église Saint-Vincent, la bibliothèque Bertoliana, la grande tour de briques rouges et les deux colonnes de marbre blanc sur l’une desquelles le lion vénitien témoigne encore de l’antique puissance de la ville des Doges. Depuis longtemps Vicence, avec son goût passionné pour les beaux édifices, avait le dessein de restaurer son vieux Palais communal. Les projets abondèrent. Tous les architectes de la région, tous ceux qui avaient décoré Venise : Sansovino, l’auteur de la Libreria, Biccio qui avait élevé la façade intérieure du Palais ducal et l’escalier des géans, Spaventa, le constructeur des Procuraties, Sanmicheli, Jules Romain lui-même, s’évertuèrent pour faire adopter les plans qu’ils avaient conçus. Palladio lui-même en présenta quatre ; et c’est l’un de ceux-ci qui rallia tous les suffrages. L’artiste n’avait guère alors plus de trente ans : jamais carrière ne débuta plus glorieusement. On travailla trois quarts de siècle à cette œuvre gigantesque que le Maître ne put terminer, mais qu’il vit suffisamment avancée pour n’avoir aucun doute sur sa beauté. Nulle part, il ne déploya plus de génie. Il ne s’agissait pas de bâtir un palais sorti de son cerveau ; il devait utiliser de vieux murs, les consolider, les agrandir et faire cependant un tout entièrement nouveau, original et somptueux. Pour une telle entreprise, il fallait de l’intelligence, de la science, de l’invention, de l’habileté, de la souplesse : Palladio eut tout cela à un point dont on reste confondu à mesure que l’on se rend mieux compte des difficultés qu’il dut vaincre. On est ébloui par tant de majesté et de splendeur ; on se demande surtout comment un tel résultat a pu être obtenu par des lignes aussi simples et presque