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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/690

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politiques, si les diplomates, si les philosophes réussissent momentanément à le faire oublier, les masses profondes et moins affinées du monde qui travaille en aperçoivent clairement et en proclament très haut la réalité, surtout lorsqu’elles en souffrent.


Mais qu’on ne s’y trompe point. Ce qui est menacé aux Etats-Unis par l’arrivée des Jaunes, ce n’est pas seulement l’idéal d’une classe, c’est l’idéal de la nation elle-même. La principale contribution des Etats-Unis au progrès humain est de former, avec les élémens les plus disparates, un peuple qui ait de l’unité et qui tout entier se gouverne lui-même, sans distinction de fortune, de métier, ni même d’origine. Comme les Américains élèvent souvent leurs édifices en matériaux artificiels, mais amalgamés de façon qu’ils égalent ou dépassent la pierre en solidité, ainsi construisent-ils leur nation de toutes sortes d’autres peuples fondus en un seul et qui rentrent invariablement dans la forme essentielle de la démocratie. Tout ce qui résiste à pareille unification et se montre inassimilable, compromet le bon fonctionnement de l’ensemble, la santé du corps social, et doit par conséquent être éliminé. Or l’expérience prouve que, si d’une part toutes les races blanches subissent en une ou deux générations les effets de la puissance assimilatrice dont se trouve douée, à un degré surprenant, la civilisation américaine, d’un autre côté les Noirs et les Jaunes demeurent impénétrables à cette influence et n’arrivent pas à fusionner avec les Blancs.

Et sans doute le problème se pose en termes différens pour les deux races récalcitrantes. En ce qui touche les Noirs, la question n’est plus entière. S’ils habitaient encore l’Afrique, une bonne loi d’exclusion trancherait vite la difficulté et, dût la république de Libéria en prendre quelque ombrage, on ne s’en tourmenterait guère. Mais il ne s’agit plus de leur défendre d’entrer ; on les a importés jadis, et ils sont là une dizaine de millions qu’on ne peut ni renvoyer, ni détruire, ni traiter en esclaves, ni même, jusqu’à nouvel ordre au moins, priver de leurs droits civiques. Comment on se tirera de cette difficulté, nul ne le sait encore ; ce qu’on sait bien, c’est que s’il vient un jour où elle compromette vraiment la paix nationale, alors on y avisera ; et c’est aussi que, tout en traitant les nègres avec équité, tout en leur facilitant les moyens d’existence et de développement, jamais on ne les laissera, pas même où ils seraient la majorité, contrôler