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II

Si la discorde sévissait dans les rangs de l’épiscopat, le gouvernement, au contraire, avait fait preuve, en ces circonstances délicates, d’une réelle unité de vues. Entre le Roi et son conseil, l’accord avait été complet pour suivre une politique modérée et ferme à la fois. Rien ne donnait à supposer que cette harmonie fût précaire. La France entière s’émerveillait à contempler ce spectacle nouveau et sympathisait avec ceux qui conduisaient ses destinées. Rarement, il faut le reconnaître, la direction des affaires de l’Etat avait été remise en des mains plus honnêtes : Turgot, Malesherbes, Maurepas, Vergennes, pouvait-on rassembler, pour parler le langage du temps, « plus de lumières avec plus de vertus ? » « Voilà quatre hommes, s’écriait Galiani, dont un seul suffirait pour rétablir un empire ! » Sa pénétration singulière s’alarmait cependant de cette abondance même : « Dieu sait, ajoutait-il, si tous les quatre feront le bien comme un seul l’aurait fait. Ah ! que l’arithmétique politique est différente de la numérique ! Je crois voir la conjonction de toutes les planètes ; elles s’entr’éclipseront[1]. »

Que dut-il dire, trois mois plus tard, en apprenant le nouveau choix qui renforçait encore « le ministère réformateur ? » Le 10 octobre 1775, le maréchal du Muy succombait, presque subitement, aux suites d’une opération douloureuse, subie avec un courage héroïque. À ce sage administrateur, laborieux, appliqué, mais de vue courte et d’intelligence limitée, l’opinion attendait un successeur d’esprit plus large et d’humeur plus hardie, prêt à porter la hache dans les abus dont fourmillaient nos institutions militaires. Quinze jours passèrent sans qu’on connût la décision du Roi, quinze jours pendant lesquels l’intrigue et l’ambition se donnèrent librement carrière. On s’étonnerait, dans une telle occasion, de ne pas voir le baron de Besenval en scène ; il ne manqua pas à l’appel : « La Cour, dit-il, était à Fontainebleau, lorsque M. du Muy mourut ; je partis sur-le-champ pour m’y rendre. » Il avait son candidat prêt, qui était le marquis de Castries, bon militaire, apprécié de la Reine, grand ami du duc de Choiseul. Le baron le recommanda avec

  1. Lettre du 29 juillet 1773. — Ed. Asse.