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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/787

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étiquette la glaçait et l’exaspérait tour à tour, n’ayant guère avec son époux que des relations officielles, et séparée de lui par la barrière qu’établissaient deux natures foncièrement contraires, trop scrupuleuse pourtant, — du moins à cette époque, — pour chercher au dehors ce qu’elle ne trouvait pas au foyer conjugal, elle n’avait de consolation que la seule amitié, consolation précieuse sans doute, mais souvent refusée aux reines et pour elles fertile en dangers. Deux femmes, charmantes toutes deux, lui en avaient, ces derniers temps, procuré l’illusion, la princesse de Lamballe et la comtesse Dillon ; mais le désenchantement avait été rapide, et, sans incident ni rupture, l’intimité s’était graduellement refroidie. Le vide de sa jeune âme déçue n’en fut que plus sensible, et depuis lors, dit le comte de Saint-Priest[1], « elle cherchait une amie comme elle eût cherché à remplir une place dans sa maison. » Le hasard d’une rencontre plaça près d’elle, sur l’entrefaite, celle qui, presque du premier jour, lui parut faite exprès pour animer son cœur et pour intéresser sa vie, et jamais il ne fut pressentiment plus juste, puisque quinze ans d’étroite liaison ne firent qu’affermir davantage un si pur et tendre attachement.

Yolande de Polastron, mariée en l’an 1767 au comte Jules de Polignac[2], n’avait que vingt-six ans quand, sans l’avoir cherché, elle fit ainsi son apparition dans l’histoire. Le ménage était pauvre. De la fortune des Polignac, jadis considérable, de leurs immenses possessions en Velay, il ne restait que de maigres débris ; le jeu, le gaspillage, les prodigalités de générations successives avaient progressivement amené la ruine de cette puissante maison[3]. Jules de Polignac et sa femme résidaient presque toute l’année dans une petite terre de famille, à Claye, en Picardie ; l’hiver seulement, ils passaient quelques mois dans un modeste appartement de l’hôtel Fortisson, rue des Bons-Enfans, à Versailles, ne se montrant que rarement à la

  1. Mémoires inédits du comte Guignard de Saint-Priest. — Collection de M. le baron de Barante.
  2. Il fut créé duc en 1780.
  3. Jacqueline du Roure, comtesse de Polignnc, mère du cardinal et grand’mère du comte Jules, était pour une bonne part responsable de cette situation, ayant fait vendre à son mari seize terres importantes, dont le prix fut mangé à la Cour en dépenses de toutes sortes. En 1775, il ne restait guère au comte Jules qu’une trentaine de mille livres de rente, grevées de charges nombreuses. (Renseignemens communiqués par M. le comte Melchior de Polignac.)