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Chateaubriand lui écrivait, en réponse sans doute à de nouvelles suspicions et à de nouvelles plaintes : « Je vous écrivais de mon côté, tandis que vous m’écriviez du vôtre. Votre bonne écriture m’avait tout réjoui, et puis j’ai trouvé que vous souffriez de nouveau. Je vous prêche une patience que je devrais avoir pour moi. Je souffre des maux cruels dans la jambe droite. Le pays est affreux pour les rhumatismes. Mes nuits sont comme celles du maréchal avant qu’il fût ambassadeur. Je les passe assis dans mon lit avec des rages de jambes comme on a des rages de dents. Le jour, je me traîne sur une béquille sous le bras. Convenez que je prendrais bien mon temps pour être amoureux avec des lunettes sur le nez et une béquille sous le bras. »

Rassurée un moment par ces déclarations, la pauvre malade aurait voulu faire un peu partager à son amie les sentimens qu’elle éprouvait pour René. Elle écrivait, non sans clairvoyance, à Mlle de Constant : « Ma chère, vous me parlez en énigmes sur M. et Mme de Chat… Vous ne me dites pas la vérité, et je veux la savoir. Vous n’en avez pas été contente, je le crains, cela m’afflige. Ils sont sauvages ; il est difficile de faire connaissance avec eux, mais ils sont bien reconnaissans de votre bonté et de tout ce que vous avez fait pour eux… Chère Rosalie, écrivez-moi, brisez la glace sur les Chateaubriand, dites-moi le fond de votre cœur. Hélas ! sans doute il n’est pas toujours ce que je voudrais et m’a souvent affligée ; mais la perfection de caractère ne peut être donnée que par la religion à ceux que le talent et le génie possèdent : ils ne sont pas eux-mêmes les trois quarts du temps. »

Quelques semaines après, à la suite d’une attaque de paralysie, elle écrivait encore avec mélancolie, mais avec plus d’amertume : « J’ai été si malade que je n’ai pu écrire depuis trois semaines, ni vous remercier de cette jolie fleur, encore moins du vase que M. de Chat[eaubriand] avait si bien oublié qu’il m’en a parlé avant-hier pour la première fois et que je ne l’ai pas encore en ma possession. Les génies ont de ces oublis. Heureux quand ils ne s’étendent qu’aux objets matériels ! » Mais, la maladie aidant, elle finissait par se départir de toute indulgence : « Je n’ai point votre petit vase. M. de Chat[eaubriand] a encore oublié de me l’apporter hier, il oublie tout, et surtout ceux qu’il aime : le tien n’est rien pour lui. Je l’ai vu deux fois, depuis son retour, dont hier était une ; je lui ai dit que vous en seriez scandalisée. Il faut l’aimer quand même, mais [ne] jamais compter sur