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passions éminemment irritables, en vertu d’un accord tacite, nous faisons le silence sur cette grosse affaire. Nous la reléguons à l’arrière-plan. Nous voulons espérer qu’avec le temps les choses s’arrangeront d’elles-mêmes. Nous nous contentons d’une déclaration amicale comme celle de ce galant homme. Tout passe, tout se tasse. L’action lente de nos idées influencera peu à peu les parties les plus réfractaires de l’Islam ! Nous avons confiance dans l’œuvre du temps et dans la victoire finale, infaillible, de nos principes civilisateurs.

À la vérité, l’avenir ne me paraît point si rassurant. L’évolution des idées et des mœurs, voire de la simple vie matérielle, a toujours été infiniment plus paresseuse en Orient que chez nous. Mais il ne s’agit point de ratiociner sur ce qui arrivera dans cinquante ou dans cent ans. Il s’agit du présent. Or, si les écoles se bornent à éduquer un troupeau docile et somnolent de fonctionnaires ; si, même chez les hommes de l’élite, nos idées les plus libérales sont pliées dans un sens purement musulman ; si enfin, parmi les masses populaires, la religion, bien loin de réagir contre ces tendances particulières, les exagère encore, la perspective d’un rapprochement, même uniquement intellectuel, avec l’Europe ne reste-t-elle pas toujours très éloignée ?

Il est inutile de se le dissimuler : l’Islam, en tant que foi, n’a pas perdu un pouce de terrain. On peut même dire qu’il n’a pas cessé d’en gagner. Il est aussi dominateur qu’aux siècles les plus brillans de son histoire, peut-être davantage, parce que la présence humiliante de l’étranger exaspère, en ses fidèles, la susceptibilité du sentiment religieux. Évidemment, nous ne leur demandons pas d’abdiquer leur croyance : une telle prétention serait aussi odieuse que ridicule. Nous souhaitons seulement que cette croyance ne condamne de parti pris ni nos sciences, ni notre culture littéraire et philosophique. En un mot, nous voudrions que l’Islam, à l’imitation du christianisme occidental, fît sa part à l’esprit moderne. Le catholicisme, en particulier, n’est l’ennemi d’aucune science, qui n’est qu’une science. Un religieux, chez nous, peut être un mathématicien, un astronome, un historien de premier ordre, tout aussi bien qu’un laïque. Sans doute, le but du catholicisme n’est point de développer le progrès matériel, et ses spéculations, sans rester étrangères aux choses contingentes, visent néanmoins plus haut. Tout en concédant le nécessaire à la vie pratique, il ne doit pas, il ne peut