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de passage entre leur église et la Grotte de la Nativité. Ce passage coupe en diagonale un des bas-côtés de la vieille basilique constantinienne qui renferme la Grotte. Or, dans un des angles, les Arméniens possèdent un autel, et, devant cet autel, se déploie un tapis. Avides de couper le passage aux Franciscains, de quoi s’avisèrent ces ingénieux schismatiques ? Petit à petit, centimètre par centimètre, ils allongèrent leur tapis, tant et si bien qu’un beau jour le tapis finit par recouvrir tout le pavé entre la Grotte et la petite porte des Latins. Pour s’y rendre, ceux-ci étaient obligés de fouler le territoire de l’ennemi, puisqu’ils passaient sur son tapis. Violation du droit de propriété ! Conflit qui allait tourner au tragique ! batailles en perspective ! effusion de sang ! Mais, en vrais fils du bon saint François, les Franciscains conjurèrent toutes ces horreurs grâce au subtil artifice que voici. Par une nuit sans lune, à l’heure où tout le monde dort, même les Arméniens, un Frère intrépide s’insinua dans la basilique et, armé d’une paire de ciseaux, il coupa le tapis délictueux sur toute la longueur de la diagonale. De cette façon, la frontière fut rétablie sans combat, et les Arméniens, rendus stupides par un si joli tour, se tinrent cois et renoncèrent à rallonger leur tapis.

Un tel dénouement est exceptionnel. D’habitude, hélas ! les choses sont bien loin de s’arranger ainsi en douceur. On n’aurait que l’embarras du choix entre une foule d’épisodes, qui prouvent surabondamment la violence et, quelquefois, la férocité de ces haines religieuses. On se le rappelle : lorsque la nouvelle Constitution ottomane fut proclamée à Jérusalem, des Juifs échauffés voulurent traverser la petite place du Saint-Sépulcre, afin d’y manifester leur enthousiasme pour la Révolution. Mais des pappas armés de solides gourdins leur en barrèrent la porte : s’ils avaient osé la franchir, on les étendait raides sur le seuil !

En réalité, toutes ces religions orientales s’abominent. C’est, chez elles, une si vieille habitude ! Elles se côtoient sans cesse, elles se supportent tant bien que mal, parce qu’il leur est impossible de faire autrement. Mais chacune demeure retranchée dans son hostilité, sans la moindre concession, du moins volontaire, au voisin, sans rien céder de ses prétentions. Cela marche ainsi, jusqu’au jour où les fureurs contenues éclatent et où l’on s’égorge dans la rue. Inutile de fouiller l’histoire des vingt dernières années pour y trouver des exemples à l’appui. Il n’y a