Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/945

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du peuple égyptien. Tout le détail de ces épreuves, et le caractère des saints prêtres, et jusqu’a des pages entières du livre de Terrasson ont été fidèlement repris par Schikaneder : avec cette seule différence que Séthos, au terme de son initiation maçonnique, n’obtient en récompense que le don, tout abstrait, de la vertu parfaite, au lieu de recevoir par surcroît, comme son successeur Tamino, la main et le cœur de la belle Pamina. Et aussi bien le misogyne Schopenhauer ; malgré toute son adoration pour l’œuvre de Mozart, n’a-t-il jamais pu se consoler de ce que Tamino, après avoir traversé ses épreuves, n’en eût pas rapporté assez de sagesse pour se consacrer, désormais, aux douceurs du célibat, laissant à son prosaïque compagnon Papageno le souci des caresses trompeuses d’une Papagena.


C’est à ce vice essentiel de sa conception que la Flûte Enchantée, comme je l’ai dit, doit surtout de n’avoir jamais pu s’acclimater chez nous que sous des déguisemens arbitraires : sauf d’ailleurs pour ceux-ci à être, eux-mêmes, tout à fait incompréhensibles, ainsi que l’étaient ces Mystères d’Isis que nos pères avaient surnommés les Mystères d’Ici. Mais en Allemagne, au contraire, ni les contemporains de Mozart ni leurs descendans n’ont attaché assez d’importance au livret de l’opéra-comique pour se sentir gênés, dans leur ravissement, devant une musique qui leur apparaissait tout ensemble la plus « allemande » et la plus parfaitement belle de toutes celles de l’auteur de Don Giovanni et de Cosi fan tutte. Les musiciens, « — à commencer par Beethoven, qui voyait dans la Flûte Enchantée l’expression la plus complète du génie de sa race, — ont été unanimes à aimer par-dessus tout une partition où ils reconnaissaient, en plus de l’inimitable maîtrise et sûreté du « métier, » un art pour ainsi dire épuré et « surhumanisé, » substituant à la réalité individuelle d’un Chérubin ou d’un Leporello un élément de vérité plus profond, plus général, plus conforme à notre fonds commun d’émotions et de sentimens. Le philosophe Schopenhauer pardonnait finalement à Mozart le mariage de Tamino en considération des chants d’amour sans pareils qui le préparaient ; et si son héritier Nietzsche, sur la fin de sa vie intellectuelle, affectait d’ignorer la Flûte Enchantée au profit de Carmen, je ne doute pas qu’il le fit avant tout pour taquiner, jusque dans l’autre monde, l’ombre invinciblement trop chérie de Richard Wagner[1].

  1. On sait également que le délicieux poète romantique de la peinture allemande, Maurice Schwind, a consacré aux scènes et aux personnages de la Flûte Enchantée une nombreuse série de fresques, tableaux, et dessins, qui sont, à coup sûr, la plus parfaite « transposition » plastique du chef-d’œuvre de Mozart.