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se trouver occupés ailleurs que nous aurons nos coudées plus franches au Maroc ; mais cela même est incertain, et, quand même il en serait ainsi, nous persisterions à croire que notre action doit continuer de s’enfermer dans les limites de l’Acte d’Algésiras. Il y a deux conceptions différentes, ou même opposées, au sujet du Maroc. Les uns y veulent une politique, à laquelle ils n’osent pas appliquer les mots de conquête, ni même de protectorat, mais qui cependant s’en inspire. Les autres veulent un Maroc indépendant, sur lequel ils se contentent de réserver à la France une influence effective. Entre ces deux politiques la conciliation est impossible : ce qui se passe en ce moment le prouve une fois de plus. Nous avons toujours soutenu la seconde comme la seule qui convienne, sinon à nos intérêts coloniaux, au moins à nos intérêts généraux. Quant au gouvernement, il a oscillé souvent entre l’une et l’autre politique, et, bien qu’il ait toujours parlé dans le sens de la seconde, il a quelquefois agi dans celui de la première ! : il faudra pourtant bien qu’il se décide à prendre entre les deux, une attitude définitive.

Nous n’avons pas pu présenter les réflexions qui précèdent sans faire allusion à l’interview à laquelle le général d’Amade s’est prêté. Le compte rendu en a paru dans Le Matin. On a su depuis que d’autres journaux, qui avaient reçu auparavant la même information, avaient cru ne pas devoir la reproduire. Si tous avaient eu la même réserve, cela aurait mieux valu pour le général d’Amade ; mais la presse ne vit pas de discrétion, et il n’y a pas lieu de s’étonner qu’un journal se soit enfin rencontré pour servir d’organe à un officier qui croyait avoir quelque chose à dire d’utile. Ce qu’a dit le général d’Amade, on le sait déjà par ce que nous en avons nous-même dit plus haut. Le général a cru rendre un service à son pays en dénonçant publiquement le péril que l’expédition espagnole faisait courir à l’Algérie. Il ne va pas jusqu’à croire que l’Algérie pourrait en souffrir dans sa sécurité, mais il estime qu’elle risque de voir se fermer les voies les plus propres à servir à son expansion future. « La Méditerranée, dit-il, est un débouché médiocre, depuis longtemps borné à l’Ouest, et il m’apparaît évident que l’avenir est vers l’Atlantique, par la voie de terre. L’Atlantique nous ouvre tous les espoirs commerciaux ; il regarde des pays jeunes et prospères ; il dessert l’Amérique et l’Afrique, vers laquelle il représente une route bien plus sûre que les déserts du Sahara. Donc nous avons un besoin impérieux de fortifier nos conquêtes algériennes par une zone d’influence au Maroc. » Ces vues contiennent sans doute une part de vérité ; peut-être, en effet,