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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/104

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la monarchie n’a jamais tout à fait rempli son dessein d’étendre à tous les métiers dans tout le royaume le régime corporatif.

Quant à la législation contre les « assemblées illicites, » si elle est, au XVIIIe siècle, plus abondante que jamais, loin d’être nouvelle pourtant, elle est, — on l’a vu, — traditionnelle depuis Philippe le Bel interdisant les réunions de plus de cinq personnes. Mais tandis qu’autrefois elle visait indifféremment les patrons et les ouvriers, peu à peu, et sans doute à mesure que les ouvriers se constituaient en embryon de classe à l’état séparé, elle en venait à être dirigée plutôt, et de plus en plus, contre les ouvriers seuls. L’ordonnance de 1539 disait encore : « tous maîtres, compagnons ou apprentis ; » l’ordonnance de 1541 dit uniquement : « serviteurs et compagnons. » Ainsi, de la longue suite d’actes qui va jusqu’à la veille de la Révolution. D’abord, la prohibition tombe, impartiale et égale, sur les employeurs et les employés, comme nous disons en notre jargon[1] ; puis, les « associations ouvrières » sont expressément et presque exclusivement menacées ou touchées. Je sais bien que l’article 13 de l’édit de Turgot, de l’édit final et, c’est le cas de le dire, capital, de février 1776, porte lui-même : « à tous maîtres, compagnons, ouvriers des dits corps et communautés ; » mais on lit, dans les lettres patentes du 2 janvier 1749 (art. 3) : « Faisons pareillement défense à tous compagnons et ouvriers de s’assembler en corps, sous prétexte de confrérie ou autrement, de cabaler entre eux, etc. » Après ces lettres, et même avant elles, les interdictions s’accumulent : ordonnances royales et lettres royaux ; déclarations ; arrêts du Conseil, arrêts des cours de parlement ; ordonnances de police ; l’autorité cherche à atteindre les coalitions ouvrières par tous les canaux où elle peut s’épandre[2].

  1. Arrêt du Parlement du 28 juillet 1500 ; ordonnances de Villers-Cotterets (art. 191) ; de Moulins (1566) et de Blois, art. 37 (579) ; Code Michaud (1629), art. 175 et 177 ; règlemens généraux de Colbert.
  2. Ordonnance de 1541 ; lettres de 1542 ; ordonnances de 1544, de 1571 ; lettres royaux de 1579. — Déclarations de 1529, 1567, 1651. Ordonnance de 1670. Arrêts du Conseil du 7 juin 1702, 30 janvier 1717, 7 juillet 1720, 23 février et 2 juillet 1723, il mai 1725, du 5 août 1745 ; lettres patentes du 2 janvier 1749 ; arrêts du 18 avril 1760 ; avril 1777 ; 7 septembre et 11 novembre 1778 ; 22 mai 1779 ; arrêt de la Cour de Toulouse du 3 novembre de la même année ; 4 mai et 20 décembre 1781 ; septembre 1783 ; 21 février 1785 ; 19 mars 1786, etc., etc.
    Ordonnances de police, Paris, 1720, 1764 ; la Rochelle, 1718, 1721 ; Chartres, 1761 ; Nîmes, 1770 ; Bourges, Orléans, Amiens, Languedoc, etc. — Cf. Etienne Martin Saint-Léon, ouvr. cité ; Germain Martin, les Associations ouvrières au XVIIIe siècle.