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parla de la fragilité des renommées humaines avec une éloquence égale à celle de Platon. Il ne fut pas inférieur, le lendemain en nous exposant la doctrine des philosophes de l’antiquité. Nous étions tellement fascinés par sa parole que nous ne nous apercevions pas de la fuite du temps. »

Méry a laissé une immense réputation d’homme d’esprit. J’ai lu ses livres et n’y ai pas trouvé autant d’esprit que je m’attendais à en rencontrer. Je me suis dit : « Il devait être infiniment spirituel dans la conversation. » Philibert Audebrand, avec sa magnifique mémoire, publia, il y a une vingtaine d’années, les conversations de Méry. Je ne les trouvai pas autrement spirituelles. Je me dis : « Ce devait être le geste et l’accent. » La merveilleuse éloquence de Michel de Bourges, l’élévation et l’étendue de ses pensées, sa poésie, sa logique, son parler court et serré paraissent peu dans les discours qu’on a conservés de lui, et M. Ollivier reconnaît lui-même qu’il était plus orateur, chose rare, invraisemblable, contre nature, mais possible, devant six auditeurs que devant quinze cents. Mais encore, que presque rien de ces admirables qualités ne perce dans ses discours imprimés, cela étonne. Décidément, ce devait être l’accent. Et l’accent de Michel de Bourges, non plus que la voix de Berryer, personne ne peut nous le rendre. — Michel de Bourges « a paru moins qu’il n’était » au public de son temps ; encore moins, naturellement, à la postérité. Qu’y faire ? Il était dans le vrai, en parlant avec une mélancolique éloquence de la fragilité des renommées humaines.


ÉMILE FAGUET.