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NOTES D’UNE VOYAGEUSE EN TURQUIE
(AVRIL-MAI 1909)

V.[1]

Mme Ange connaît mon amie Selma Hanoum et elle nous a réunies chez elle, un matin.

J’avais vu Selma Hanoum à Paris, il y a neuf ans, quand elle était arrivée, sans bruit et sans réclame, pour vivre auprès de son frère Ahmed-Riza bey et remplacer la famille lointaine.

Dans le salon peint à la chaux bleue, sur le divan de toile, nous sommes assises, côte à côte, tout attendries de nous retrouver là. Mon amie est toujours belle, plus belle dans ce long manteau de crêpe de Chine noir dont les plis amples ont tant de grâce et de majesté. Elle porte une espèce de toque qui soutient son voile et couronne royalement son front énergique et fier. Elle a de très beaux yeux, un profil un peu court, très noble, et une curieuse manière de redresser son menton, de porter la tête en arrière, comme les chevaux de race qui « encensent. » Elle paraîtrait hautaine, si elle n’avait tant de charme.

J’aime tendrement, et j’admire cette femme, supérieure à tant d’Européennes, vaillante, loyale et méconnue. Ce n’est pas une naïve comme Mélek Hanoum ; ce n’est pas une « désenchantée. » C’est un être d’action, de décision, qui a le sens des réalités et même du bon sens tout court. Si la nature l’avait

  1. Voyez la Revue des 15 juillet, 1er août, 1er septembre et 1er octobre.