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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/296

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moyen âge et fructueux alors pour la commune ou le seigneur, tandis qu’il devient de plus en plus déserté dans les temps modernes, — tel se louait 650 francs en 1622 qui ne rapportait plus que 7 fr. 50 à la veille de la Révolution ; — après avoir lutté pour se servir chez lui de son propre four, le paysan actuel, devenu plus difficile, cesse de cuire chaque quinzaine et s’adresse à un nouveau « four banal, » facultatif cette fois, celui du boulanger de village qui le fournit de pain meilleur et plus frais. Les progrès de l’industrie ayant permis au meunier contemporain de réduire de moitié le prélèvement de grain qui constituait son salaire, le moulin moderne est devenu plus « banal » encore que le four ; mais il tire d’un sac de blé « deux moutures, » c’est-à-dire deux fois plus de farine qu’autrefois.

Comme le laboureur de son côté tire d’un même sol beaucoup plus de froment que ses devanciers, de sorte que la consommation de ce grain a triplé depuis 1815, — de 39 millions d’hectolitres à 120 millions, — il advient que le « pain de deux couleurs » a disparu pour les « gens de moyenne étoffe, » que les seigneurs ne mangent plus de « pain rousset » dans leur potage, et que l’on n’a plus à défendre aux boulangers d’introduire frauduleusement dans leurs miches diverses matières de fantaisie.

Et de même qu’il n’y avait rien de commun jadis entre le « pain de pape » ou « de chevalier » et le « pain ballé, » d’avoine ou d’orge avec l’écorce, que mangeaient les domestiques des champs, de même l’aliment désigné de nos jours sous le nom de « pain » est tout autre chose que ce que l’on appelait autrefois ainsi.

On en peut dire autant de la viande : la chair des bœufs, vaches et veaux d’aujourd’hui est une substance fort différente, au point de vue alimentaire, de ce qu’elle était aux siècles passés, bien qu’au point de vue zoologique ces animaux semblent continuer l’espèce. L’histoire des prix nous a révélé que la hausse du bétail par tête avait été double de celle du kilo de viande, depuis le moyen âge ; preuve évidente que les bestiaux actuels, dépecés, fournissent deux fois plus de kilos que les anciens et sont par conséquent deux fois plus gras. Ce fait nous est confirmé par la comparaison des prix de la graisse, jadis si rare qu’elle se vendait le double de la chair maigre, tandis que c’est juste le contraire maintenant. La profusion de bestiaux étiques avait cet autre résultat que les cuirs étaient abondans,