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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/301

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pas croire que le dessèchement de la plupart des anciens étangs, transformés en prairies depuis un siècle, a réduit cette alimentation et que nos aïeux, sans avoir besoin d’importer des anguilles d’Amsterdam ou des brochets de Dordrecht, trouvaient dans leur voisinage les élémens d’un large approvisionnement : les Parisiens de 1804 ne mangeaient pas 300 000 kilos de poisson d’eau douce, c’est-à-dire neuf fois moins que maintenant, et dans l’ensemble du pays, le prix naguère constamment élevé de cette denrée suffit à prouver sa rareté.

IV

Ce phénomène de comestibles qui ont gardé leur nom en changeant de nature constaterons-nous aussi pour la volaille ? Quelques volatiles anciens ont disparu de nos tables : le cygne ou le paon, ce dernier valant une trentaine de francs au xive siècle et moitié seulement au xviie. Le paon fut au moyen âge un mets symbolique, « viande des preux, » « nourriture des amans ; » avant de le rôtir, on l’écorchait, et une fois sorti de la broche, on rappliquait la peau, et on étalait la queue ; une dame de haut rang posait l’animal devant le plus qualifié des convives, qui devait le découper en miettes. C’est alors que se prononçait le vœu chevaleresque : « Je voue à Dieu, à la Vierge, aux Dames et au paon. »

Le coq et la poule d’Inde, moins nobles, mais très exceptionnels, valaient jusqu’à 150 francs, à tout le moins 40 francs la pièce, jusqu’au règne de François Ier, où, importés d’Amérique, ils ne tardèrent pas, sous leur nom moderne de dindon, à tomber aux taux actuels.

L’abandon ou le succès de quelques espèces est sans intérêt ; le fait saillant, c’est que le mot de « poulet » n’a plus le sens qu’il avait jusqu’à la fin du xviiie siècle de poussin à peine adulte, estimé moitié du prix de la « géline » ordinaire, le tiers du « chapon paillé, » élevé librement, et cinq fois moins que le chapon gras ou la poularde. Les anciens connaissaient aussi bien que nous les procédés d’engraissement de la volaille ; seulement, ils ne les pratiquaient pas, c’eût été trop cher. On citait à Paris au xive siècle trois ou quatre « cages » ou basses cours d’élevage, fantaisies de grands seigneurs ou de riches bourgeois.

Mais la généralité des « poulets » ne ressemblaient nullement