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réaliser, au contraire. Mais, à l’entendre, on croirait que le luxe des « primeurs, » représenté surtout par quatre-vingts cerises précoces payées 80 francs par la Ville de Paris, pour un repas offert à Louis XV, fut alors à son apogée, tandis que c’est une industrie toute récente.

Depuis le xvie siècle où la duchesse de Vendôme envoyait porter en Flandre à la reine d’Espagne (1532) des melons et des artichauts ; depuis le règne de Louis XIV où La Quintinie était parvenu à entretenir d’asperges en hiver la table du grand roi, friand de ce légume, toute la culture forcée des maraîchers parisiens consistait à faire avancer les raves sous cloches. En 1800, ils ne possédaient pas encore de châssis, puisaient leur eau à bras et portaient leurs marchandises aux Halles dans des hottes. Ils eurent ensuite la « manivelle, » puis vers 1835 la pompe à manège permettant les puisages profonds et l’usage des plateaux plus élevés, puisque l’eau est ici la question primordiale. En 1860, les irrigations commencèrent ; en 1889, les moteurs à gaz et à pétrole, les chemins de fer Decauville avec plaques tournantes pour entrer dans les carrés de légumes, firent leur apparition.

Les « marais, » ou potagers urbains, meublés au milieu du xixe siècle de 350 000 chassis et de 2 millions de cloches, étaient garnis en 1900 d’un million de chassis et de 6 millions de cloches, sans compter leurs serres chauffées au thermosiphon. Leurs exploitans faisaient 3 millions d’affaires sous Napoléon Ier, ils en font aujourd hui 36 millions sur quelque 1 200 hectares, situés partie en ville, partie dans la banlieue à cause du renchérissement des terrains. La production n’a pas seulement décuplé, comme le chiffre d’affaires ; elle est vingt-cinq ou trente fois plus forte, parce que les primeurs sont beaucoup moins chères en 1909 qu’en 1850 ou même en 1875. C’est un profit positif pour les consommateurs. En hiver, où son devancier vendait avec peine un millier de laitues, notre maraîcher en vend 50 000, et, malgré la hausse des loyers et de la main-d’œuvre, il y gagne encore.

Les « primeuristes » actuels s’appliquent autant à retarder la maturité qu’à la hâter ; à obtenir des légumes tardifs, le profit est même quelquefois plus grand qu’à devancer la saison, parce qu’alors la rivalité du Midi n’est plus à craindre et que celle des « conserves » est moins redoutable. L’art de garder en flacons ou en boites closes la viande ou le poisson, les fruits ou les