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Centre, descendez le Rhône de Lyon à Valence, vous trouverez tantôt des espaces immenses plantés de cerisiers, tantôt des kilomètres couverts de pêchers et d’abricotiers de plein vent et, dans chaque village, des amas de paniers, de caisses, de harasses vides ; cette vannerie qui atteint la hauteur d’un premier étage se remplit journellement, emportée par les chemins de fer dans toutes les directions.

Au temps où les fruits ne voyageaient pas, les prix variaient suivant la récolte dans des proportions inouïes ; mais, personne n’ayant intérêt à entretenir des vergers un peu vastes dont les produits n’eussent pas trouvé de débouchés, les fruits d’été étaient en moyenne moins abondans et les fruits d’hiver étaient plus chers qu’en notre siècle. Dès le milieu de l’automne, la pyramide de pommes et de poires, que la mode dressa de plus en plus haute sous Louis XIV, devenait l’immuable ressource. Les « quatre mendians » l’encadraient ; figues de Malte, raisins secs et dalles d’outre-mer, tous luxes interdits aux petites bourses du moyen âge, lorsqu’un kilo de figues se payait aussi cher que trois poulets et un kilo de dalles le même prix que dix kilos de viande.

Un prince seul pouvait s’offrir des grenades à 10 francs ou des oranges à 5 francs la pièce au xive siècle. Plus tard, les « bois d’orangers, » un peu mécaniques dans leurs grandes caisses, qui se succédaient en fleurs tous les quinze jours dans la galerie de Versailles, ne portaient bien entendu pas de fruits. Les oranges, de 40 centimes à 1 franc chacune, demeuraient un luxe ; et lorsque les transports par terre se furent un peu développés vers la fin de l’ancien régime, le commerce des marchandes d’oranges ou de citrons sur le Pont-Neuf était encore fort peu de chose. Pour tous les fruits frais ou secs, nous constaterions un phénomène analogue à celui des oranges, dont la consommation en France a triplé depuis trente-cinq ans : le Paris de 1819 mangeait vingt fois moins de raisin que le Paris de 1909.

Si l’on en juge par leur valeur en douane, l’ensemble des fruits importés dont la quantité a sextuplé depuis 1870, — 216 millions de kilos au lieu de 30, — s’adressent à la consommation populaire : que le raisin d’avril, à 25 francs le kilo au temps du second Empire, ait baissé de prix, cela n’est pas de grande conséquence auprès des nouvelles cargaisons de bananes, offertes chaque année par centaines de millions aux tables les