qu’on les rencontre aujourd’hui, ils n’ont jamais cessé de s’y rendre et sous Louis XVI, au dire de voyageurs étrangers, il était plus facile et moins cher de boire du « généreux bourgogne » à Bruxelles qu’à Dijon et dans la plupart des villes de France, où il ne s’en trouvait pas une goutte d’authentique.
Quant aux bordeaux, ils allaient depuis longtemps à Londres, qui ne les marchandait pas. Ils se payaient en Angleterre, sous les Stuarts, de 200 à 300 francs et jusqu’à 400 francs l’hectolitre. Montaigne parle avec honneur du vin de Graves : « Si vous fondez votre volupté à le boire friand, vous vous obligez à la douleur de le boire autre. » Le Graves pourtant, sauf une apparition sur la table de Louis XI, qui le paya 120 francs l’hectolitre, ne fut longtemps connu en France que sur les côtes de Bretagne et de Normandie. Mais, à l’époque de la Révolution, le Château-Laffitte ou le Château-Latour se vendaient aussi cher que de nos jours : de 500 à 1 000 francs la pièce suivant les années. À l’exception du Champagne, coté, suivant son mérite, depuis 7 francs au détail jusqu’à 3 fr. 50 par « mannequin » de cent bouteilles, les vins fins ou « de cadeau, » français ou étrangers, Frontignan, Malvoisie, Alicante, Malaga, étaient par leur valeur un luxe tout autre qu’ils ne sont actuellement.
Le vin d’ordinaire aussi, chez les riches, était beaucoup plus onéreux : Richelieu ou Mazarin payaient leur vin de table 150 francs l’hectolitre, celui de leur suite 100 francs et celui de leurs valets 75 francs ; le vin de sa table coûtait à la Duchesse de Bourgogne (1697) 290 francs l’hectolitre et celui du « commun » 128 francs. À moitié prix, nos contemporains ont de meilleurs vins, parce qu’ils les laissent en bouteilles un certain temps développer leur bouquet avant de les boire. Cette simple pratique, qui devait transformer le goût des boissons, a mis des siècles à s’établir. Elle était inusitée même à Versailles, où l’on allait comme au moyen âge « traire au tonnel » pour remplir les aiguières. Si, dans ses maisons de campagne ou dans ses soupers particuliers, Louis XV avait des bouteilles de vin sur la table, à cause de la difficulté du service, c’est qu’on les avait remplies quelques heures avant le repas. Avec ce système, la futaille entamée perdait sa qualité très vite, et de là sans doute était venue cette coutume, chez les grands, de l’abandonner au maître d’hôtel lorsque le vin était « à la barre du tonneau, » c’est-à- dire à moitié vide.